“Tiens donc, vous êtes enseignant ? C’est ce qu’on fait quand on sait rien faire ” A force d’avoir entendu cette antienne répétée sur tous les tons dans toutes les strates de la société j’ai fini par la tourner et la retourner dans mon esprit en me demandant si, véritablement, je n’étais capable de rien faire d’autre . Cela m’a pris des années, pendant lesquelles jour après jour je trouvais , dans mon métier, de nouvelles raisons de l’apprécier, et de nouveaux arguments contre cette attaque facile dont je ne cherchais d’ailleurs pas à trouver une motivation quelconque , ce point de vue fondé sur rien, mépris gratuit d’un métier dont on se fait une idée plus qu’on ne le connaît véritablement . Je ne sais pas si je devais cette réflexion à mon égo, vexé de ne pas avoir réussi à faire quelque chose de brillant de ma vie, frustré de n’être pas Proust et de n’avoir pas le trait de génie qui donne  l’étincelle d’un oeuvre inoubliable à jamais inscrit dans les annales de l’humanité , ou si je la devais à une juste impression de l’absurdité de tels propos dénués de raison, emprunts de vanité, la vanité perpétuelle de la critique gratuite et sans objet .

A mesure que je vieillissais, et que je rencontrais d’anciens élèves qui venaient vers moi le sourire spontané et la joie affichée de retrouver leur vieux professeur au hasard d’une rencontre fortuite, je comprenais que je l’avais bien choisie ma place, pas une place affichée et reconnue  : grand bien fasse ces  piédestals à ceux que cela met en joie . Je pensai que je n’étais peut-être pas fait pour ces positions qui m’auraient mis mal à l’aise ; d’autres les tenaient : à chacun sa place . Je me rendis compte à mesure que je réfléchissais à ce que j’avais fait de ma vie que, certes, je n’avais ni été celui dont la voix porte ni celui dont la pensée subjugue , j’avais été un simple écho de tous ceux dont la voix , dont le chant, dont le regard m’avaient porté . Et “qu’importe que nous ne soyons que des échos si la note est belle” . Il me semblait que chaque élève que je rencontrais longtemps après qu’on se soit fréquentés justifiait pleinement mon existence et lui donnait un sens, le sens de cet écho que j’avais tenté de leur transmettre, il me semblait que la beauté , tout au moins celle, si petite soit-elle, qui me satisfaisait, résidait bien davantage dans les petites chose que dans l’éclat tapageur des destins glorieux, qui, certes, avaient leur place dans le monde, mais ce n’était ni la mienne, ni celle qui m’aurait rendu heureux . Oui, pensais-je, je ne sais rien faire d’autre, mais l’écho que je transmettais me semblait peu à peu  d’une autre valeur . “Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul “….

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