Tout avait commencé en 1968. Il avait sept ans, il regardait par la fenêtre les ouvriers de Lip canarder les boucliers des CRS à grands coups de pierres, et les autres, en retour, les matraquer sans ménagement. La violence inouïe de la scène avait soudain fait jaillir en lui une chose qui ressemblait déjà à une deuxième personne, quand la première n’était pas même constituée : il venait d’acquérir une conscience.
La fenêtre, il le comprendrait plus tard, beaucoup plus tard, la fenêtre n’est jamais qu’un artéfact entre deux mondes. D’un côté, le monde intérieur, magique et poétique ; de l’autre : la barbarie sociale ! Mais cette fenêtre-là, celle de la rue des Anémones dans la cité HLM de Palente, cette fenêtre-là possédait un pouvoir démoniaque : elle n’ouvrait pas sur le présent, elle ne montrait que l’avenir. Ce qu’il voyait au travers des carreaux, c’était sa destinée.
Comme le toréador sait qu’il est né pour combattre le taureau, lui, sut à cet instant qu’il était né pour combattre l’injustice ! Cette prescience l’envahissait furieusement, ravageant cette enfance avortée qui, telle une allumeuse frivole, l’avait pourtant fait rêver. Écorché vif par la brutalité armée d’une société menacée, l’homme qui naissait dans l’enfant sentait déjà confusément qu’il n’était pas au bout du rouleau, que le chemin serait long, dur et sinueux vers la liberté…

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