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La misère je la renifle aussi surement que je renifle l’eau ! Et ils sont tous là ! Les hommes devant, certains ont ôté leur chapeau, enfin ce leur qui sert de chapeau ! D’autres un peu plus en retrait ; les femmes sont derrière, aussi dépenaillées que les enfants  qui se tiennent aux hardes qui leurs servent de robes. Ah ! Le voilà, le Grand, celui qui est venu nous trouver, celui qui a eu moins peur.

Il a dit au sourcier tout ce que nous savions déjà : l’eau qui manque, les cultures qui n’arrivent pas à nourrir les familles. Il a dit aussi qu’il a fait bénir les maisons, les champs, des histoires de femmes ,il a rajouté. Le Dieu du curé il se fout des pauvres, il faut juste qu’ils restent dans leur misère sans trop se faire voir, ni faire de bruit.  Il a dit aussi qu’il avait mis du temps à venir, que ce n’était pas une histoire de volonté, mais d’argent, pour faire bénir la ferme ce n’était pas gratuit. Puis il a aligné les pièces de cuivre sur la table. Autant de repas en moins ai-je pensé.

Pendant ce temps le sourcier n’a rien dit, c’est un taiseux, et puis il savait, il a juste hoché la tête de temps en temps. Puis il s’est exprimé, d’une voix douce et ferme, il a dit de ne pas trop mettre d’espoir, qu’il pouvait ne pas trouver, que je ne bougerais peut-être pas.  Ces paroles il les répète à chaque fois. Le Grand a dit «  je sais, mais il faut que j’essaye. » Le sourcier l’a regardé, il a dit «  demain 10 heures » en lui tendant la main. Le Grand l’a serrée, c’est levé et est reparti.

Ce matin, comme d’habitude, quand on a traversé le village, certains se sont signés sur notre passage. Le curé ne nous aime pas, ce n’est pas grave, il dit que nous appartenons à un monde ancien, un monde païen, que son Dieu pourvoit à tout. Tu parles ! Je ne suis pas certaine que la misère soit un don de Dieu, pas plus que la sécheresse d’ailleurs.

Le sourcier m’a sortie de dessous sa veste. C’est là qu’il me porte avant que je fasse mon office, près de son cœur d’homme. Et ce cœur il saigne souvent ! Je sais qu’il a avec lui les pièces du Grand, que tout à l’heure il les déposera dans un coin de la maison, sur le buffet ou sur un coffre, ou il donnera à quelqu’un un peu comme lui. Il sait qu’un don comme le nôtre ne se monnaye pas, cela s’offre, sinon on le perd.

Je commence mon travail, les hommes me suivent. Ils ont laissés les pelles et les pioches derrière, contre le mur d’une remise, un reste de superstition ? Des femmes sont rentrées dans la maison, je les entends qui prient, la belle affaire ! J’aime bien le regard curieux des enfants, ils croient encore à la magie, tout n’est pas perdu !

Dans les mains du sourcier, je fais le tour de la cour. Rien, on continue. Les champs devant à droite, celui de gauche, le chemin, les côtés de bicoques à droite à gauche, les côtés de la grande maison, si on peut appeler cette masure une maison! L’écurie,  d’autres champs. J’arpente le terrain entre les mains puissantes  et calleuses de l’homme qui a le don. Je l’entends, dans sa tête, il m’encourage » Allez, ma belle il faut leurs trouver quelque chose, allez trouve », il murmure aussi des paroles venues de temps anciens dans une langue aujourd’hui interdite.

On passe derrière la plus grande des maisons, celle où ils s’étaient tous regroupés devant pour nous attendre. Là à environ cinq-six mètres, je sens quelque chose, mon nez s’abaisse un peu. Le sourcier commence à décrire des cercles tout en marchant, de plus en plus grands, jusqu’à ce que je vibre. Je la sens, Elle est là, mais profond. Le sourcier le dit aux hommes qui courent chercher les outils, et les paniers. Les femmes arrivent avec eux, c’est elles qui évacueront la terre. Ils amènent aussi un cheval et des cordes, pour sortir la terre du trou et les hommes au cas où.

Il est midi, deux femmes et des enfants dressent des tréteaux avec une planche dessus et sortent des bancs, elles disposent du pain noir et dur, de la charcuterie un peu rance, une salade d’herbes, du fromage, des pommes.

Les hommes se relayent pour creuser. Bientôt on ne voit plus que les têtes. Le sourcier explique ce qu’il faut faire, les planches à mettre pour tenir les côtés, et tout le reste. Ils creusent toujours, avec ardeur, on dirait qu’ils commencent à y croire. Soudain un cri, il y a de la boue. Le sourcier se rapproche, hoche la tête, il explique encore ce qu’il faut faire, pour étayer, puis faire monter l’eau. Les hommes écoutent avec respect cette fois. L’ouvrage continu encore un peu.

Le soleil est maintenant bas sur l’horizon. Le sourcier m’a remise contre son cœur. Avant cela il avait repérer une petite à l’air dégourdi, qui suivait les opérations de près. Il lui a donné les pièces, lui disant de les remettre au Grand lorsqu’il serait parti, mais que celui-ci ne devrait jamais rien dire. La petite à répéter les mots, mis les pièces dans sa poche d’un air entendu, elle se tient maintenant un peu en retrait l’air sérieux, une main sur la poche de son tablier où sont les pièces.

Je repars, nous regagnons notre logis. Comme ce matin nous avons droit à la rangée de bigotes et au curé, qui nous regardent passer. Le sourcier continue son chemin, sans un regard, mais touche son chapeau pour les saluer. Il marche souplement, son corps est droit, fier, il avance d’un pas sûr. En les dépassants il a un petit sourire en coin.

La petite a donné les pièces au Grand. Il est dehors à côté du futur puits, il jette quelques piécettes, son obole aux anciens dieux qui connaissaient la nature autant que les hommes, il regarde au loin dans notre direction, je le sens.

Ce soir le sourcier et moi nous sommes contents, j’ai fait ce que je pouvais. Un peu de misère en moins me direz-vous ! Non, juste un peu d’espoir en plus !

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