S’il est périlleux de tremper dans une affaire suspecte, il l’est encore davantage de s’y trouver complice d’un forfait perpétré contre autrui. C’est ce que Jean-Jacques, le patron-sauveteur de la SNSM se répétait depuis ce funeste dimanche d’octobre 1997.
  Lorsqu’il était arrivé sur les lieux du drame près de l’île aux femmes, le Stella- Maris avait déjà coulé et il n’avait pu sauver aucun des membres de la famille Rohmer. C’est alors que, son mécanicien, Paul Le Goas avait repéré une tache bleue sur le sillon de galets qui bordait l’île. Un jeune garçon, d’environ six ans, était étendu sur les cailloux, il était inconscient et souffrait de contusions multiples. Les deux hommes lui avaient prodigué les premiers soins et Paul, le mécano-sauveteur l’avait avec délicatesse transporté sur le canot tous temps. Durant le trajet-retour, l’homme prévenant, ne l’avait pas quitté des yeux, il avait rajouté une couverture de survie sur ses épaules gelées et essuyé les grains de sable sur son visage meurtri. Avant d’accoster à l’abri, Paul s’était approché de son patron et lui avait réclamé une grande faveur :
– Jean-Jacques, tu le sais combien Rose et moi nous souffrons depuis le départ de Titouan, tu le sais ça, que nous revivons chaque nuit le cauchemar de sa maladie et de sa mort. Ne dis rien, n’alerte pas les autorités, ma femme et moi allons prendre soin de ce gosse, il est vraisemblablement orphelin. Il trouvera chez nous la chaleur d’un vrai foyer, des parents aimants et dévoués. Tu nous connais, tu le sais bien qu’il pourra être heureux chez nous. S’il te plaît Jean-Jacques, fais le pour moi, accepte-le pour tes amis.
   La mort dans l’âme, Jean-Jacques avait eu pitié de Paul et de Rose, de leur vie anéantie par la disparition de Titouan, il avait dit oui.
   Paul et sa femme vivaient assez loin de la demeure des Rohmer et personne n’avait fait le rapprochement quand une dizaine de jours plus tard, le couple transformé et ragaillardi, avait annoncé au voisinage qu’ils avaient la responsabilité de leur neveu pendant que ses parents se soignaient après un grave accident de la route.
   L’enfant Rohmer, renommé Thibault le Goas, avait eu une enfance heureuse entouré de ses parents de substitution bienveillants et généreux. Il ne se souvenait pas de sa vie d’avant. Il refusait, cependant, de monter sur le bateau orange et vert et de prendre la mer avec son père et son parrain.
  L’année de ses 18 ans, Rose et les deux hommes avaient pris leurs responsabilités et lui avaient expliqué les circonstances de son adoption. Ils avaient évoqué le naufrage dramatique du Stella-Maris, de la mer déchaînée qui avait couté la vie à ses parents et à ses ainés.

    Quelques jours plus tard, sans une explication, sans un au-revoir et sans prétendre à l’héritage auquel il avait maintenant le droit, Thibault avait disparu. Il n’avait jamais donné de nouvelles à ses parents qui se rongeaient les sangs en guettant le facteur chaque matin.
   Il n’avait pas donné de nouvelles jusqu’à ce jour, où la rumeur du retour du jeune fils Rohmer leur étaient parvenue.
  Jean-Jacques s’était précipité chez ses amis et ils attendaient maintenant, tous trois, le moment fatidique où les gendarmes se gareraient dans la cour de la ferme. Ils se savaient coupables, ils avaient agi par amour mais avaient fait fi des lois, ils allaient devoir rendre des comptes maintenant.
  Lorsque les deux agents se présentèrent à la porte d’entrée, ils saluèrent les trois personnes mais ne leur laissèrent pas le temps de s’expliquer:
– Monsieur, Madame Le Goas, votre fils est de retour dans la région, il s’est présenté à la gendarmerie ce matin et nous a chargé de vous dire qu’il sera ici jeudi prochain.

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