Elle est arrivée ! Je suis contente ! Ce matin, Pierre, c’est mon facteur, l’a déposée dans ma seconde poche, celle de la rue des Eglantiers. Marie va être heureuse, depuis le temps qu’elle attendait la lettre de son amoureux. J’aime porter les lettres d’amour. Pas seulement les lettres de ce sentiment qui lie deux êtres, mais de tous les amours, filial, familial, enfin tous ! Ces lettres avec des mots simples qui donnent des nouvelles, parfois bonnes ou douces, qui parlent du temps qui passent. Bien sûr il y a celles qui donnent de mauvaises nouvelles, mais je ne le sais pas toujours, je ne suis pas dedans, je me contente des derniers mètres.
Certaines personnes n’en reçoivent plus, et se satisfont de l’abonnement au journal, des courriers de l’administration, des publicités. Mais tous m’attendent ! Enfin, ils attendent Pierre, le facteur du village, ils nous attendent ! Lorsque nous faisons la tournée, même. s’il n’y a pas de courrier pour vous, surtout s’il n’y a pas de courrier, nous nous arrêtons un petit moment, le temps d’un bonjour, pour échanger trois mots. Parfois nous nous posons le temps d’un café. Parfois je suis reniflée par de grands chiens qui appliquent leur truffe humide sur moi, les chats viennent moi souvent. Ce n’est pas que cela me déplaise mais j’aime être au mieux de ma forme. C’est important, vous savez, c’est que j’ai une mission ! Même si c’est pour un bref instant.
Pierre, il lui arrive de nous faire repasser chez un tel ou une telle, c’est quand il a remis une de ces lettres que je déteste, celles bordées de noir qui annoncent les décès. Pendant la guerre, nous le faisions à trois, Pierre, le Maire et moi. C’était des moments difficiles, ils donnaient ces courriers de malheur, pas besoin d’ouvrir, tous savaient ce qu’ils contenaient ! Alors venaient les larmes, certaines pudiques qui se posaient sur la table, la lettre ouverte, d’autres explosaient en sanglots sans être ouvertes. Et il y en a eût ! Mais c’était un autre temps.
Aujourd’hui, je ne vais pas aimer ma tournée, c’est celle des déclarations d’impôts. Je suis remplie de feuilles bleues sous film plastique. Robert dit toujours « ceux-là, ils ne nous oublient pas, c’est bien les seuls ! »
Robert ne reçoit plus de courrier depuis longtemps. Il est le dernier de sa famille. Je ne lui apporte plus que les catalogues de graines, le « Chasseur Français ou Rustica » il est content quand ils arrivent, même si ces plis s’entassent chez lui. Il ne les ouvre pas, il n’en a plus envie Cela me fait de la peine, me rend triste.
Je me dis, dans ce moment-là, que nous sacoches nous devrions former un collectif, et susurrer à nos facteurs l’idée d’envoyer des lettres aux personnes comme Robert. Des lettres de rien, juste pour dire « Bonjour ». Des cartes postales ! J’aime les cartes postales. Avec leurs belles photos, les paysages, les monuments, il y en a avec des recettes de cuisine, des humoristiques, … Oui, c’est ça ! Des cartes postales, pour les gens qui sont seuls, ils les mettraient sur le frigo ou sur un mur, comme Rose et Gérard, comme cela ils pourraient les regarder, et penser à cette personne qu’ils ne connaissent pas et qui leur adresse un courrier, une petite pensée, pour l’espoir fugitif de faire partir d’un monde, d’une communauté humaine. Du lien social, et ça Pierre il y tient ! Il le dit toujours lorsqu’on lui reproche la lenteur de sa tournée.
Ces derniers temps, du courrier j’en amène de moins en moins. Il paraît que les gens préfèrent les e-mails ou les visios, comme ils disent. Dommage ! Dans les lettres il y a l’attention, le temps passé à savoir ce que l’on écrit, à trier ce qui semble important ou pas, il y a des sentiments. La couleur de l’encre aussi, des bleus mystérieux tirant sur le noir, des bleus des mers du sud, des mauves à l’ancienne, des verts printemps, des noirs sérieux. Et puis il y a les timbres ! Ah oui ! Le timbre, le beau ! Celui qui ne coûte pas plus cher, mais que l’on ne trouve qu’au bureau de poste, celui qui exige un effort. Ce timbre- là, marque l’attention délicate que vous portez à votre correspondant, c’est le petit truc en plus.
Pierre part à la retraite, c’est son pot, son arrosage, comme l’on dit. Tout le village est là sur la place devant le bureau de poste, même le Conseil Municipal au grand complet et la presse locale. Son collègue m’a emballée dans un beau papier. Pierre me déballe, après les discours, il a des larmes qui lui montent aux yeux. « C’est que j’en ai fait des tournées, avec elle » dit-il, il est heureux de m’emmener je crois. Pierre me ramène chez lui. Je ne porterais plus de courrier, mais peut-être son casse-croûte, des champignons, des châtaignes, des pissenlits…Et puis nous serons ensemble.
Est-ce que l’on peut séparer un facteur de sa sacoche ?
Lettre adressée porteuse de nos pensées de l’instant pour l’autre.
Lettre enveloppée de notre attention ,” accolée” de ce petit morceau
de quasi certitude, que dès sa sortie de sa sacoche, elle se posera,
dans notre boite de leurs mots.
Joli écrit tout en douceur, merci, Philomène
Merci beaucoup
Bien sympathique ce couple facteur/sacoche !
merci