L’heure n’était pas écoulée qu’elle était de retour. Elle s’était changée ; l’élégant uniforme avait cédé sa place à une belle robe de soirée qui savait mettre en valeur ses atouts féminins. Aucun autre bijou, que ces dents magnifiques, cette fraîche jeunesse, volontaire, ces convictions cachées, aucun autre bijou ne venait gâcher la beauté angélique qui rayonnait tout autour de ce visage et de ce corps, si parfaits, qu’ils suscitaient en moi une émotion troublante, empreinte de timidité et de violence masquée.

La robe, d’un noir satiné, soulignait, par la proximité qu’elle avait à ses formes, chacun de ses mouvements, comme les enveloppant d’un voile de vent. Je remarquai aussi la profondeur de ces yeux intensément marrons, qui contrastaient avec le regard léger, un tantinet rieur – sans être jamais moqueur -, qui se formait probablement de l’usage calculé qu’elle savait en faire. Ils lui appartenaient…

Je ne sais pas pourquoi, je la remerciai de sa ponctualité. Du sourire bienveillant qu’elle me décocha, sans dire un seul mot, je compris ma stupidité, ma vénalité présupposée, ma prétention dominatrice…, mon infériorité. Je venais d’avouer mon désir.

“Comme il est dit dans nos brochures, commença-t-elle, celles que vous avez reçues suite à votre réaction à l’annonce : “après 17h, au Château, c’est “tenue de soirée” ! Nous avons nos codes… Venez, pour commencer, je vais vous montrer les codes couleurs. Nous en avons deux, c’est simple : il y le vert et le rouge ; rien entre les deux. Tenez, prenez mon bras, vous voulez bien ? Je vais vous montrer. Commençons par le Club…”

Le temps me manqua pour bégayer quoi que ce soit. Je me levai, je pris son bras, elle m’entraîna. Son parfum fit le reste : j’étais enivré ! Quoi ? J’avais à mon bras, le mien, la plus belle créature du monde, la plus sublime, certainement la plus intelligente, il suffisait pour s’en convaincre de comprendre le rôle qu’elle jouait dans cette pièce, et on allait nous voir, nous regarder et forcément nous admirer ! M’admirer ?

“Voyez-vous, cher Maurice, vous me permettez de vous appeler Maurice ? – elle me chuchotait à l’oreille, je respirais son haleine, mon ivresse s’emballait… -, tout ce qui est vert n’est pas rouge, et tout ce qui est rouge n’est pas vert. Ici, au Club, c’est un peu… subtil : il n’y a pas de zone verte ou de zone rouge ; ce qu’il faut regarder, c’est la boutonnière ou le poignet. Là, vous verrez la couleur. Chaque membre l’affiche, c’est le règlement. Ne pas le respecter, c’est trahir les autres, donc se trahir soi-même. Cela n’est jamais arrivé.”

Nous traversions lentement la grande salle du Club ; elle continuait de chuchoter à mon oreille ; nos pas feutraient sur une épaisse moquette d’un rouge si grenat qu’il en devenait sang ; personne n’était là, sauf, au fond d’une sorte de corridor encastré dans la réalité, deux joueurs d’échecs dont on pût penser, à les observer, qu’ils dormaient.

Sa bouche s’approcha de mon oreille pour y susurrer : “Ce sont des habitués, ils sont toujours les premiers. Regardez, regardez bien, cher Maurice : c’est la boutonnière ici, tenue de soirée… ; l’une est verte et l’autre est rouge. La verte ne sait rien de la rouge. La rouge sait tout de la verte. Venez, continuons, je vous expliquerai plus tard, ne les dérangeons pas…”

 

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