[deuxième partie]

 

Préfixes multiplicatifs

BI (deux)

Bigaré  Se dit d’un véhicule encombrant, 4×4 ou SUV, à la carrosserie multicolore et qui occupe deux places de stationnement. Il attire les papillons.

Bigarrot  A l’époque où la peine capitale sévissait encore en Espagne, dispositif permettant d’étrangler deux condamnés à mort en même temps.

« Comme çà on travaille pas pour des prunes », disait en rigolant un bourreau.

Bilan « Un bilan » : dans leur jargon, les sexologues nomment ainsi les hommes fatigués, souvent âgés, et qui ne peuvent accomplir leur devoir conjugal que deux fois, au cours d’une année.

«Quel triste bilan!»

Une commerçante a quitté son ectoplasme de mari pour partir avec le jeune et vigoureux garçon qui lui livre des légumes bio. On dira d’elle: «Elle a déposé son bilan.»

Biroute

Dans la littérature classique chinoise, on rencontre très rarement les caractères que d’éminents sinologues ont traduits, après bien des hésitations, par Biroute.

Ils désignent l’alternative qui s’offre au voyageur sentimental: -soit il choisit la route qui contourne la montagne . Il s’enfonce alors dans un passage étroit, entre deux collines. -Soit il accepte la voie traditionnelle, la plus empruntée. Elle le dirige vers une luxuriante forêt qui dissimule le temple d’une religion très prisée par ses fidèles. Si c’est un bon pratiquant, il s’y engagera.

BIS

Bismut. (mut. pour mutant)

Les habitants de l’exoplanète ER 1268 n’ont pas de sexe. Ils se reproduisent par scissiparité. Aussi, quand ils découvrirent, grâce aux ondes cordées, la terre et la présence d’hommes et de femmes qui s’unissaient charnellement pour leur plaisir et la survie de l’espèce, un vif désir de visiter notre planète s’empara d’eux. Des agences de voyages proposèrent- à un tarif exorbitant- de téléporter les volontaires à destination; on leur permettait deux mutations: prendre l’aspect d’un homme ou d’une femme. Quelques détails techniques:

Le futur voyageur devait, pendant la semaine précédant le voyage, ingurgiter chaque matin une dose de poudre blanche au goût acre. Juste avant la téléportation on lui passait au cou la chaînette munie de la pierre noire. Il choisissait la ville d’arrivée, se plaçait sous l’arche interstellaire du Centre, frottait 3 fois la pierre et…se retrouvait dans une des toilettes publiques de la ville désignée .

La mutation devait s’effectuer immédiatement par l’absorption d’un cachet, bleu pour devenir homme, rose pour femme.

Je n’ai pas le droit de divulguer la composition de ces cachets ni de préciser le protocole du retour, des humains indélicats pourraient tenter de prendre la place du voyageur.

Bistouriste

Variété de touriste avide de tout découvrir, à la vitesse de l’éclair. Il fend la foule pour profiter de la meilleure place, à l’avant, quand, au retour des Alpages, défilent les animaux descendus de la montagne ; il joue des coudes car il veut profiter aux premières loges du concert de cors de Alpes donné en pleine rue…

Hier, ma femme Paula, visitait à Annecy , le Palais de l’Île. Au même moment , je découvrais le château de cette ville.

Mon portable sonne:

«Chéri, je n’y comprends rien: tu viens de me téléphoner, il y a moins d’une minute, pour m’apprendre que tu as aperçu dans la cour du château, notre voisin, Michel Martin. Eh bien, il est là, admirant les vieilles pierres du Palais. Soit c’est un parfait sosie, soit il possède le don d’ubiquité, soit il maîtrise, comme Mélenchon, la technique de l’hologramme… Ah, en sortant, j’achète du miel d’érable à la boutique canadienne du marché de Noël, je sais que tu aimes çà.»

Biture

J’ai cherché dans les dictionnaires de la bibliothèque municipale de ma ville -et elle possède les plus variés, les plus complets- l’entrée Ture.

Rien: ce mot aime jouer, se dissimuler; il m’invite à une partie de cache-cache . Acceptons et employons la ruse . Pas de Ture, mais tous nous rêvons d’avant-ture, qu’elle soit géographique ou amoureuse. La Ture est à l’avant-ture ce qu’une pièce de théâtre bien rodée est à une avant-première.

Et que dire de la biture: elle réunit les deux rêves évoqués et, pour que la fête soit complète, elle s’accompagne de l’absorption d’un « flot *sansonneur de quelque noir mélange» (dixit Mallarmé), à consommer sans modération.

*Sansonneur: adj. digne du sansonnet qu’on appelle également étourneau. Le guide Peterson des oiseaux nous apprend ;

«Remuant et très bavard. Son cri inciterait au rêve: «tchèèr…schèèr…chpètt…» Le Larousse ajoute: «au sens figuré, adolescent étourdi, poète.»

 

 

Bizarre                           Drôle de drame

«L’histoire policière que cet infect personnage a écrite se situe en Alaska, quand le Klondike, au début du XX° siècle, attirait chercheurs d’or et trappeurs du monde entier.

Jack le ventru (il possède une belle bedaine), affronte le blizzard pour rejoindre l’unique bazar d’une ville champignon.

Il porte à sa ceinture son grand couteau de dépeceur.

Personne dans le magasin, à part la patronne, Sally Mara, une vieille dame de 75 ans qui tient l’harmonium au temple, le dimanche. Il la viole et l’éventre.

J’en suis certain, mon cher cousin ; comme moi vous estimez que le dégénéré qui signe ces lignes mérite la corde!»

– Oui, je l’avoue…bazar…blizzard…

– Bizarre… zarre…zarre…

– Mon cher cousin, pourquoi dites-vous bizarre?

– Moi, j’ai dit bizarre? Comme c’est bizarre!

Bizut

Vers la fin des années 50, un bizutage sévère attendait les gamins de 15 -16 ans qui entraient à l’Ecole Normale inférieure de Bonneville, la mal nommée (Haute-Savoie).

Devant des «Anciens» rigolards, le nouveau devait réciter, la déclaration du bizut.

«Zut de zut, le bizut est un être infiniment con qui ne vaut pas la quart de la dix-millième partie d’une puce mâle posée sur le dos d’un chien galeux n’ayant pas mangé depuis 10 jours»

En cas d’erreur, séance d’aspirateur. Nous portions des blouses blanches. Il fallait s’allonger sur le dos à l’entrée du couloir principal. Un ancien nous saisissait les jambes et nous traînait sur 40 mètres.

TRI (3fois)

Tricoter dans certaines ventes aux enchères, pratique frauduleuse de professionnels indélicats qui n’hésitent pas à surévaluer fortement des lots proposés.

« A la dernière adjudication chez Druot, des commissaires-repriseurs n’arrêtaient pas de tricoter.. »

Triturer désir d’insatiables sybarites, pour qui la biture ne suffit pas.

Contributeurs

Footballeurs pas très futés, mais qui expédient, en moyenne, 3 fois, au cours d’un match, la balle dans les buts adverses (s’ils marquent dans leur propre cage, çà ne compte pas).

Ils gagnent beaucoup d’argent. Leur famille, leurs proches, lorgnent sur ce pactole et tentent d’en détourner une partie à leur profit.

Annexe

1/ Timide Octobre (première strophe)

 

Timide Octobre, fais-moi place!

Je veux dire le silence roux des vignobles

que les pies , même, respectent,

l’élégance des jeunes chênes

où les mésanges tiennent conseil

et la crécelle des chardons secs ivres de vent.

Jean Orizet, poète vigneron

2/ Réponse de Céline à l’article de Sartre «Portrait d’un antisémite».

….Mais page 462 la petite fiente il m’interloque! Ah, le damné petit croupion! Qu’ose-t-il écrire, «Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis c’est qu’il était payé».

Textuel. Hola! Voici donc ce qu’écrivait ce petit bousier pendant que j’étais en prison en plein péril qu’on me pende. Satanée petite saloperie gavée de merde, tu me sors de l’entre-fesse pour me salir au-dehors! Anus Caïn pfoui!….»

3/ Torquato Tasso (1544-1595)

[Eloge du silence]

Les bois se taisent et les fleuves

Et la mer sans vagues repose;

Dans leurs grottes, les vents connaissent paix et trêve

Et au sein de la sombre nuit,

La blanche lune a répandu son grand silence;

Et nous deux, nous tenons cachées

Nos suavités amoureuses:

Qu’Amour ne parle ni ne souffle,

Muets soient nos baisers et muets nos soupirs.

Domenico di Giovanni (1404-1449), barbier et poète

[Poème bachique]

Le premier verre aiguise ma cervelle

Et j’en bois deux, si le vin a bon goût,

J’entonne le troisième sur-le-champ,

A quatre, je me racle le gosier.

Le cinquième me fait fumer la crête,

A six, je creuse un mur avec mes dents,

Au septième, je vais plus fièrement

Que le lion dans la forêt sauvage.

A huit, je me retrouve gentilhomme,

A neuf, je cueillerais sans coup férir

Le roi de France avec sa baronnie,

A dix, d’un vol je franchis les montagnes,

A onze, je conquiers la Barbarie,

A douze le Sultan est mon captif.

Amis, qui êtes là

A mes côtés, face à moi ou derrière,

Levez le coude et buvez hardiment.

4/ Chanson du Pharmacien

La fille en coupant son pain s’est coupée dedans la main
Affolée en criant accourut chez l’pharmacien
Rendue chez le pharmacien, on cherchait un assassin
Qui venait d’tuer le pharmacien dans un coin

Quand la fille est arrivée, on l’a d’abord soupçonnée
On lui a barré l’chemin à cause du sang dans la main
“Mais c’est en coupant mon pain que j’me suis coupée la main”
Les voisins l’œil en coin, disaient : “C’est pas bien malin”

Elle a dit : “Bande de crétins je vais vous faire voir le pain
Mais de pain y’en avait point, il était dans l’ventre du chien”
Elle a rit et elle a geint, que pensez-vous qu’il advint
On l’a mise dans le moulin, elle sera pendue demain

Quand vous couperez le pain, ne vous coupez pas la main
Surtout si un assassin vient de tuer le pharmacien.

5/ L’anneau mal lit

– L’anneau mal lit!

Oui, je vous le répète, agent ingénieur Dimitri Morel, votre dernière invention ne fonc-tion-ne pas et je suis très mécontent. Vous prétendez que cette fausse alliance est bourrée de microtechnologie, qu’il suffit de la poser sur un texte écrit dans n’importe quelle langue. Elle enregistre, traduit en russe et ensuite elle peut transmettre la traduction, à un portable.
Eh bien, je viens de recevoir de notre agent dormant, à Paris -il dort aux éditions Gallimard- un manuscrit encore inédit, de Hervé le Tellier. C’est son dernier roman; il paraît qu’il contient des informations utiles pour nos services. J’ai posé l’anneau sur le titre. Il m’a donné l’équivalent , dans notre langue, de “la défaillance”, la faille “le paradoxe”, “le bug”, rien qui corresponde au mot écrit.
-C’est pas ma faute, Nicolas Nikoleivitch, j’avais passé la nuit avec Niki…
-Pas de nom, Morel!
-Enfin, celle qu’on appelle l’agente double, à cause de sa généreuse poitrine; elle respecte pas la norme au lit, le Protocole 32, là où y’a indiqué les positions autorisées; elle a fait avec moi la brouette suédoise, et le lendemain, j’étais si tourneboulé qu’en effectuant les réglages de l’anneau, j’ai peut-être commis une err…
– Suffit ! Je vois que vous avez besoin de vacances. Vous allez vous rendre, sur l’île du docteur Moreau, en pleine Baltique. Moreau, un Français, travaille pour nous. Vous m’informerez, à votre retour de l’état actuel de ses recherches. Demandez en sortant la fiche 18255 E 24 à ma secrétaire. Vous la lirez ce soir, ensuite vous la mangerez. Nos savants -les meilleurs du monde-, ont réussi à donner à ce papier le goût de la pâte d’amande-.Vous partez demain.

L’agent russe apprit ainsi que Moreau avait fait construire sur l’île deux bâtiments, le F (femelles) et le M (mâles) eux-mêmes subdivisés en cinq sections: A (asymptomatiques), E (étrangers), I (instables), O (obèses), U (uchroniques). Il se livrait à des recherches ultra secrètes; la fiche n’en disait pas davantage.
Sur place, Morel passa la nuit dans une annexe du M; il lui sembla, mais peut-être était-ce dans son cauchemar, entendre, provenant du bâtiment M, des cris qui n’avaient rien d’humain.
Le lendemain, il entama la visite avec le docteur Moreau. Au milieu d’un couloir, le bruit tout proche d’une bagarre, accompagné d’horribles grognements, le fit sursauter.
-Qu’y-a-t-il derrière cette porte, Docteur?
-Là? Nos mâles I.

6/ Tatkrem Innok (L’homme lunaire)

Au commencement, vivaient un homme et sa sœur. Ils étaient fort beaux l’un et l’autre, et le jeune homme s’éprit d’amour pour sa sœur et voulut en faire sa femme.

Mais il voulait la surprendre durant la nuit, afin qu’elle ne se doutât de rien et qu’elle ignorât de qui elle recevait ces visites.

Poursuivie nuit après nuit par cet inconnu, qu’elle ne pouvait découvrir, à cause de l’obscurité de sa hutte, Maligna noircit ses mains après le fond de sa lampe, et, dans les embrassements qu’elle fit à son adorateur, elle lui barbouilla le visage de suie, sans qu’il s’en aperçût.

Le jour venu, le visage machuré de son propre frère lui apprit son malheur.

Elle exhala sa douleur en gémissements, et s’échappa de la hutte pour n’y plus rentrer.

L’incestueux, transporté par la passion, poursuivit sa sœur; mais elle s’éleva vers les cieux, soleil brillant et radieux; tandis que lui, lune froide, au visage souillé, l’y poursuivit sans relâche, mais sans pouvoir l’atteindre jamais.

Cette poursuite dure encore de nos jours. Tatkrem Innok est l’ennemi des femmes; aussi leur est-il défendu de s’aventurer dehors, la nuit, lorsqu’il fait clair de lune.

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