J’avais atterri dans ce coin de buanderie, posé négligemment au sol, calé contre une saillie que le mur faisait en cet endroit. De plus la lumière était chiche. Quelle dégringolade alors que jusque-là j’avais connu le meilleur, accroché que j’étais au mur du salon, un peu vieillot certes, mais au combien chaleureux de ma précédente propriétaire. De ce coin mi-obscur j’apercevais assez régulièrement la bonne femme qui m’avait emporté de la brocante dans laquelle on m’avait si négligemment coincé entre d’autres cadres comme moi. Celle-ci avait déclaré au brocanteur :

  • Je trouve ce cadre pas mal, je n’aime pas la dorure, je trouve ça moche. Je vais donc le repeindre un de ces jours.

C’est ainsi que pour quelques euros mon destin bascula, ou plutôt continua de basculer, et en plus elle n’appréciait pas ma dorure ! Alors que ma précédente propriétaire l’adorait, en tout cas elle adorait chatouiller mes motifs et autres reliefs de son plumeau pour me mettre en valeur et me faire étinceler de tous mes ors. Néanmoins, le triste de l’affaire est que la fin de sa vie a coïncidé avec le début de ma dégringolade.

Très régulièrement je la voyais arriver – l’autre, la bonne femme – portant son panier à linge sale dont je craignais les odeurs qui s’en échappaient. Elle bourrait tout ça dans la machine à laver qui par son ronronnement, ses bruits d’eau, ses brusques accélérations, allait me tenir compagnie une paire d’heures. Souvent quand elle revenait chercher son linge lavé qui sentait fort la lessive et ses parfums industriels que l’on n’oublie pas, elle me décochait un regard soucieux que je comprenais, elle me l’avait dit une fois « il faut que je m’occupe de toi un de ces jours ». Mais rien ne changeait à cette routine. Je m’ennuyais.

Soudain, un beau jour, je fus interpellé par une voix flutée et sifflante qui me dit.

  •  Tiens, je ne t’avais pas remarqué le cadre doré. Es-tu là depuis longtemps ?
  • Qui me parle, enfin quelqu’un qui s’intéresse à moi, je ne vois pas qui me parle ?
  • Regarde bien dans la portière de la voiture, je vois ton reflet, et si je te vois, alors tu me vois aussi. Regarde bien je suis une paire de skis de fond, fins et longs, bleu et rouge.
  • Ah voilà, lui dis-je, bien sûr que je te vois, et que fais-tu dans ce coin.
  • Eh bien moi – lui dit la paire de skis – je me repose entre deux sorties. La paire de skis lui raconta la montagne, la neige, le relief, les frayeurs qu’elle ressentait dans les descentes et tout et tout.

De son côté le cadre doré raconta sa tristesse et son espoir d’une nouvelle existence dans un salon confortable. Peut-être. Espérons…

Ainsi les deux amis trompèrent l’ennui, échangèrent sur leurs destinées bien différentes dans un monde où les objets n’ont d’autre choix que de subir les désidératas de leur maître.

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