Mon monde est celui des routes, des randonnées du quotidien et celles de l’aventure, celles qui posent parfois problème mais se terminent bien. Je ne compte plus les années ni les kilomètres que j’ai parcourus, en passagère bien sûr, d’ailleurs personne ne les compte. Éventuellement on considère mon âge à l’aune de ma souplesse, de la fraîcheur de mon enveloppe, à mes rides bien nettes et profondes, signes que je suis toujours bonne pour le service. A vrai dire rares sont ceux qui s’occupent de moi, je fais partie des meubles, des invisibles, à tel point qu’on en oublie parfois, certes pas mon existence mais du moins ma place exacte. On farfouille, on suppute, on consulte les documents disponibles, tout cela évidemment dans une fébrilité croissante car on ne s’intéresse à moi que porté par une urgence certaine. On peut avoir du carburant un plein réservoir, ou bien de l’électricité à ras les batteries, sans moi rien ne roule plus comme avant. Il faut vraiment être crevé, à plat pour se souvenir que j’existe. Alors on me recherche, on me trouve et on me monte avec force cric, parfois force cris. C’est alors que, tel un papillon sorti de sa chrysalide pour un bref moment, je roule doucement pour un unique et court voyage qui se termine généralement au garage. Je retourne alors au fond du coffre dormir sous le tapis de sol et de nouveau me faire oublier. Bientôt rangée avec les antiquités, à l’image du véhicule que j’assiste, vos petits-enfants vous interrogeront “c’est quoi une roue de secours ?” et comme la cabine téléphonique ou la montre bracelet je vais passer du monde de l’usage à celui du musée, sans fanfare et dans l’humilité.

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