On raconte que dans un petit village de Bretagne, il y a cent cinquante ans, un saltimbanque, de passage avec son violon et son grimoire, s’arrêta à la ferme du Yeun Elez et jeta un sort aux habitants.
C’était un matin de novembre, la pluie, qui avait inondé les champs et les prairies, s’était tue pendant la nuit et le brouillard s’effilochait au-dessus du Tuchenn Kador. C’était l’effervescence dans la ferme des Le Gall. L’aîné des trois garçons se mariait et tout le village était convié à manger la brioche et à boire le café avant la noce. Le saltimbanque fut convié à se sustenter et le voisinage lui fit un bon accueil. Lorsqu’il brandit son violon et joua un petit air de circonstance, l’enthousiasme enfla et on lui proposa le rôle d’animateur délaissé par les sonneurs du Huelgoat touchés par la grippe espagnole. Le violoniste accepta le marché et on lui promit qu’il prendrait ce qu’il voudrait à la fin de la noce en guise de gages. Les parents Le Gall, qui avaient vu grand, savaient que toutes les victuailles ne seraient pas englouties par les invités et que le saltimbanque se réjouirait de repartir avec un porcelet et quelques volailles. La fiancée, une brunette du village voisin était toute jolie dans ses dentelles et ses volants. Elle virevoltait et tournoyait dans les bras de son nouveau mari. Les invités avaient dansé jusqu’à trois heures du matin et même les anciens ne se souvenaient pas de fête aussi réussie. Les fûts en perce étaient tous vides, et le chemin du retour devint pour la plupart des noceurs un trajet en zig zag.
Les parents Le Gall qui n’avaient qu’une parole s’approchèrent du bateleur pour convenir de son salaire. « J’ai joué du violon toute la soirée et une partie de la nuit et comme récompense je voudrais que m’offriez la jeune mariée ». On essaya de le raisonner en lui faisant miroiter des rôtis, des gigots, des toiles de lin et même des pièces d’or. Le saltimbanque qui ne dévia pas un instant de son désir d’emporter la mariée fut chassé à coups de pierre et d’ustensiles de cuisine.
C’est à ce moment-là qu’invoquant l’esprit du diable et des démons, il jeta un sort aux noceurs; la malédiction les transforma tous en statues de pierre.
Si vous passez dans ce petit village des monts d’Arrée et si la brume disparaît au-dessus du lac de Yeun Elez, vous les verrez les uns près des autres, statues de granit figées pour l’éternité. Ayez une pensée pour eux!
Le saltimbanque ne serait-il pas un serviteur de l’Ankou? (Ou l’Ankou lui-même personnifié?…Le malin aurait-il donc troqué sa faux contre violon et grimoire). Et où comptait-il emporter la mariée? Diable, le saltimbanque promettrait-il de rompre des pactes?
Je plaisante, mais j’ai apprécié de retrouver/respirer un brin d’atmosphère des monts d’Arrée en parcourant ce conte.
Mince, je suis démasquée, l’Ankou en effet rôde dans ces lieux-là et il se dit que la pauvre mariée aurait fini dans sa charrette! Les monts d’Arrée, un monde à part!
C’est si bien conté que l’on a plaisir à participer aux noces. Évidemment, personnellement je suis partie avant le règlement des comptes!
Merci Ma Pie et tant pis pour votre témérité!
Joli conte breton. Ok pour un café de Ménez Bré en évitant les Korrigans méchants 😉
Merci Gigi et le café sur le Mont Saint Michel de Brasparts ou le Menez Bre, ce serait avec plaisir…
Un formidable voyage en Bretagne que vous nous offrez là, merci ! Nous n’aurons pas meilleur guide : vous avez traduit le manuel (d’exploration) en Français littéraire !
Vous y avez aussi laissé quelques traces d’affection, que nous remarquons, et d’imagination que nous vous envions…
Faites-nous encore rêver ! Encore et encore…
(Merci d’avoir publié ce conte magnifique sur l’AlgoMuse !)
Merci Guillaume, l’incipit était taillé pour moi, je ne pouvais que prendre la balle au bond et ce fut un plaisir d’insérer les monts d’Arrée (terre de légendes) dans le défi du jour.
Sur cet incipit, qu’effectivement vous ne pouviez manquer de saisir au vol 😉, vous avez composé avec justesse et habileté un conte breton à l’atmosphère mystérieuse et envoutante. Vos descriptions dévoilent avec bonheur cette terre singulière, dans sa géographie et ses coutumes, et j’aime beaucoup également le titre que vous avez donné, bravo.
une Algomusienne bretonne
Quel bonheur de vous lire ici Angelune, merci. Je suis ravie d’apprendre que vous êtes bretonne aussi.
Et encore un magnifique récit, au sujet hélas un peu (involontairement) prémonitoire car écrit fort peu de temps avant les incendies de l’été.