Un grincement, c’est la porte qui s’entrouvre, laissant passer un mince rai de lumière, moi qui n’en voit plus jamais, et l’espoir renaît…va-t-on me voir ? Va-t-on me trouver, là perdu entre des liasses de relevés bancaires qui sentent la poussière ? Je suis las de mes conversations incessantes avec l’édition 1979 du Quid, le Larousse illustré jadis compulsé par les enfants de la maison…Je me rappelle des enfants, du bruit qu’il faisaient lorsqu’ils rentraient de l’école en criant, avec leurs bons points à la main et les images du chocolat poulain, leurs petites mains sales et agitées qui me faisaient vivre, qui me froissaient, me tournaient, me faisaient virevolter…Et puis ils faisaient défiler mes pages, et posaient vivement un doigt sur un village, un nom, et quelques chiffres ! Je faisais partie de leur monde fantastique, le monde des adultes, un monde interdit, et ils utilisaient mes numéros en pouffant de rire lorsqu’ils les composaient sur le cadran du vieux téléphone de la maison ! Une blague, deux blagues, et puis leur mère arrivaient en criant et en les sommant d’arrêter les bêtises…Aujourd’hui le mince rai de lumière va vite disparaître, faux espoir de mes derniers jours…Mais…mais si ! Voilà qu’on me saisit fébrilement, j’entends les éclats de voix des habitants de la maison, je sors du placard, il fait froid, humide, mais je suis vivant ! Je ne réalise pas ce qu’il va se passer jusqu’à ce que je sente que l’on déchire mes pages, qu’on les froisse, et puis que l’on finisse par me mettre tout entier sur un petit tas de bois sec, j’entends le craquement d’une allumette, la joie se lit sur les visages, les flammes commencent à crépiter, et même ma couverture se meurt dans une couleur indéfinissable…Et là, dans un dernier souffle, tout mes numéros, mes noms, mes prénoms, mes villes et mes villages ne sont plus que cendre et fumée…

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