Je l’avoue rarement mais la condition de fils à papa m’a souvent offert des avantages dont j’ai profité avec délectation et sans aucun remords. Le coquet appartement, tout nouveau tout beau, où j’avais emménagé faisait partie de ces cadeaux paternels qui donnaient bonne conscience à mon père en me réjouissant sans réserve. Cela faisait quatre mois que j’habitais le quartier et que pour mes courses ordinaires je fréquentais très régulièrement l’épicerie du bout de ma rue. Une envie de consommer très local avait donné une excellente excuse à ma paresse pour ne pas chercher plus loin un commerce mieux achalandé. Au demeurant le couple Bordeaux qui la tenait s’avérait fort sympathique et accueillant, et au fil du temps qui passait nous avions échangé, au-delà des banalités quotidiennes, quelques convictions politico-économiques qui nous avaient rapprochés. Ce soir-là, après quelques petites emplettes pour regarnir mon frigo, alors que je payais la note, assez salée au vu du peu de marchandises dans mon panier, l’épicier s’approcha de moi avec un air de conspirateur et m’invita à découvrir son arrière-boutique où, dit-il, une surprise de taille m’attendait.
Une fois passé la réserve et le couloir qui menait à ses appartements privés, une double porte vitrée s’ouvrait sur une immense serre. Je découvris alors la réalité de ma consommation locale puisque fier comme un paon le commerçant-jardinier me fit visiter le potager dont il tirait un grand nombre des légumes en vente dans sa boutique. Concombres, salades et tomates qui garnissaient régulièrement mon assiette croissaient ici-même dans ma rue ! Poussant la visite un peu plus loin, monsieur Bordeaux me présenta son jardin exotique où il arrivait dans les bons moments à cultiver des fruits dont certains inconnus sous nos latitudes. Avec une grande délicatesse il détacha un pamplemousse de sa branche et me l’offrit les yeux pétillants de satisfaction. Il termina son tour du propriétaire par une sorte de jardin d’agrément où il avait installé table et fauteuils en rotin, les plantes alentour étaient impressionnantes par leurs couleurs étranges ou leur taille démesurée. Attention à ne pas s’y frotter, me dit-il doctement, car certaines étaient toxiques comme l’oreille d’éléphant ou le laurier-rose. C’est à ce moment que je compris combien la fréquentation de mon épicier et de sa dangereuse pharmacopée pouvait s’avérer intéressante pour le projet d’assassinat que j’avais commencé à élaborer…

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