Tout en elle est exagéré: sa beauté, son esprit, son flegme, sa démarche, son regard… Elle a quitté l’entreprise voilà un an, jeune, jolie et un brin timide pour revenir à présent dans une version « améliorée » d’elle-même dont elle maîtrise parfaitement les codes.  

Si tu la voyais sortir de l’ascenseur le matin, elle regarde alentour d’un air conquérant, puis marque de son empreinte parfumée la totalité des bureaux vitrés. Les regards se lèvent, attirés naturellement vers elle et suivent sa démarche chaloupée.

 Tu te souviens du couloir. Les bureaux donnent tous sur ce couloir à la moquette usée, délavée , d’un gris bleuté. Un rat pourrait courir que personne ne le repérerait.

Sauf peut-être .. elle. Oui , elle, elle le verrait, car le rat s’ arrêterait sur son passage à demi-sonné pour la laisser passer.

Je me rends bien compte que je suis en train de te dire  qu’un rat pourrait tombé raide dingue de cette femme fatale. Mais, c’est exactement ça. Peut-être même qu’il tomberait raide mort en regardant Emma.

– ah ben moi, « Si jamais une femme me fait mourir, ce sera de rire.»

– mm… attends Renard, je te raconte la suite et on en reparle…

– Pourquoi, elle a fait quoi ta vampe, elle a tué un homme?

– Non, mais c’est tout comme…

 Tu te souviens de Denis, le comptable du petit bureau du bout du couloir… Tu sais, celui qui vient en moto dès 7 heures le matin pour pouvoir récupérer ses enfants à l’école à 16 heures le soir. Il est classe, marié, très amoureux de sa femme, avec deux enfants adorables…

Et bien… Denis n’est plus de ce monde. 

– N’importe quoi, je l’ai aperçu tout à l’heure!

– Non.. tu as cru le voir, mais celui que tu as vu ce n’est pas Denis. C’est…. Le Hareng !

Je t’explique… Emma est allée le voir dès son retour de congé. Elle devait régler tout l’administratif avant de reprendre le travail.  Il est tombé sous son charme dès son entrée dans le bureau. Il la regardait sans discontinuer, hochant la tête à chacun des mots qu’elle prononçait . Il ne quittait pas ses lèvres du regard. Elle parlait, souriait, en faisant des mous que seule une femme fatale sait faire. C’était… c’était… 

– Gênant ?

– Non…plutôt inquiétant…très inquiétant car Denis semblait se vider de  sa substance.

– Et..?

Et une fois qu’elle a obtenu ce dont elle avait besoin. Elle lui a caressé la joue, tout doucement en lui demandant de reprendre vie. Elle le menaçait en minaudant de lui faire du bouche à bouche s’il se trouvait mal. Cela n’a fait que le plonger encore plus profondément dans son apathie.

Consciente de l’effet produit, elle lui a porté le coup fatal en lui demandant de cesser de la regarder avec des yeux de poisson mort, sinon elle finirait par croire qu’il s’agit bel et bien d’une sardine ou d’un hareng!

Et depuis, elle ne l’appelle plus que par ce petit sobriquet, et tu penses bien que tout le monde se fait une joie de l’imiter. 

Denis est mort. Vive le Hareng.

– Mais alors, qu’est- il donc arrivé à la douce et timide Emma de l’an dernier?

 Quelqu’un sait il ce qu’elle a fait durant toute cette année ? Et surtout comment en est elle revenue avec des armes aussi affûtées?

– Difficile à dire.. certains parlent d’un stage de prise de confiance en soi un peu intensif, d’autres d’un amour tumultueux… mais tu sais ce que disait lord Byron:

« Les dames ont un tact qui, lorsqu’on leur fait subir un interrogatoire un peu trop pressant leur sert merveilleusement à se maintenir à distance de la question: ces charmantes créatures mentent avec tant de grâce, que le mensonge leur sied à ravir »

Il est clair que quoi qu’elle dira , le mensonge siéra à Emma. Je serais toi, je ne chercherai donc  pas pourquoi Emma la douce est devenue Emma la vampe. Il est sûr que cette femme là ne fait pas mourir que de rire.

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