En cette chaleur étouffante, posée sur un carton collant de sucre dans la vitrine du boulanger, j’enrage. Les guêpes se ruent sur mes framboises appétissantes. Les rayures jaunes et noires de leur corps m’étourdissent. Le bourdonnement incessant des insectes me donne la migraine. La crème pâtissière, confectionnée avec amour par Jules ce matin, coule abondamment sur ma pâte sablée croustillante. La sueur perle entre chaque élément de mon être et je me délite petit à petit.
Mes yeux s’arrondissent telles des agates dès que la jeune vendeuse me déplace brusquement avec ses mains maladroites. Deux framboises glissent et roulent nonchalamment sur le sol. La serveuse ne prend pas la peine de remettre deux autres fruits sur ma tête mais elle écarte d’un doigt menu ceux qui tentent de se stabiliser. Une cuillère froide vient récupérer hâtivement une goutte de crème liquéfiée et me voici posée dans un carton d’emballage fin sur le comptoir brulant.
J’ai à peine eu quelques instants pour apercevoir la cliente : une vieille femme au timbre perçant, parfumée outrageusement. Dans ma boite, je suis ballotée énergiquement au rythme du pas de ma nouvelle propriétaire. Néanmoins, ravie d’être débarrassée des guêpes, je me contente de mon sort. Après une trentaine de minutes, j’apprécie le fait de me trouver dans un lieu frais durant quelques heures.
Mes idées s’envolent : je pense à ma pauvre cousine Berthe. De son côté, elle a été confectionnée à la hâte pour la venue du cirque Bouglione. Le clown blanc l’a emmenée sans ménagement à huit heures ce matin. Grâce au livre que lisait la petite Lucie près de moi, j’ai pu comprendre le sort jeté à Berthe. Sous le chapiteau dressé hier, elle sera objet à dérision lors du spectacle de l’Auguste. Je me réjouis de ma chance et me délecte de la saveur douillette du moment.
Tout à coup, un bruit de porte me sort de ma rêverie. Le couvercle de mon carton se soulève. Je suis éblouie par la lumière du soleil. Un cri d’enfant me perce les tympans. Je suis déposée sur un plat coloré de fleurs anciennes. Mes framboises sont transpercées de cinq bâtons blancs dont l’embout est allumé par ma propriétaire. Une chanson enjouée résonne dans la pièce : je suis accueillie par une dizaine de fillettes turbulentes. Fière, je bombe mon torse avant le show. Je sens le souffle délicat qui vient éteindre ces flammes vacillantes. Un long couteau aiguisé et une pelle à gâteau s’approchent dangereusement de moi.
Trop tard pour réagir je suis tranchée en huit parts égales sous les applaudissements des enfants !
pas si tarte, la tarte
quel plaisir de vous retrouver sur le site
à bientôt
Franchement, j’aime beaucoup mais par contre, j’aimerais bien un petit peu de respiration, des alinéas. La contrainte des 20 minutes ne doit pas empêcher de respirer la personne qui écrit (ni celle qui lit – mais je prends le temps, je lis “à haute voix dans ma tête). Moi, à l’inverse, je crois que j’en fais trop, des alinéas. C’est complexe, l’écriture, mais même par cette canicule, votre délicieuse tarte, sucres lents ou pas, j’aurais bien dévoré!
J’ai trouvé cette petite tarte aux framboises absolument délicieuse ! Merci!!
Un bouquet de sensations présentes (le carton collant, la sueur, le ballottement…) Et une mordante allusion à la cousine du cirque Bouglione!
En fait, peut-être que c’est le pâtissier qui avait trop chaud, trop de tartes à faire et ne pouvait plus respirer? Mais je l’aime, moi, ce texte-là.
Sale temps pour les gâteaux de pâtisserie et pensée pour tous les “Jules” qui mettent tant d’amour et de savoir-faire pour affûter nos appétits gourmands!
Ah oui, superbe comme cela!