Corps et âme @rosalouve

Très tôt, j’en ai eu marre. J’aurais tant aimé porter un autre prénom. Connaissez-vous cette frustration de naître avec un chemin tout tracé ? On m’a offert une autoroute, j’aurais rêvé d’emprunter de frêles sentiers.

Frapper est ma destinée. J’essaie de jouer la subtilité, mais mon corps à contre-courant de mon âme m’enchaîne alors à cette affreuse responsabilité, impardonnable conséquence d’une trop grande douceur : un meuble qui défaille, une fixation qui lâche ou un appui dangereusement instable.

Si la brutalité est contre ma nature, mon enveloppe charnelle est à son image : un pieu surmonté d’un chapeau d’acier. Je me dois d’exécuter une mission fidèle à l’identité qui me fut attribuée, ainsi qu’au physique associé : taper, frapper, heurter, enfoncer, percer, trouer, écraser, déformer. Or, l’habit ne fait pas le moine, n’allez pas croire ce que vous voyez. Je n’ai pas l’assurance que vous imaginez. Ni la raideur d’ailleurs !

Longtemps, je me suis interrogé. Vaut-il mieux être en accord avec ma fonction, ou aligné avec ma sensibilité ? Répondre aux injonctions ou exprimer mon être profond ? Aaah ce corps-là… qu’il m’encombre ! Ce qui pourrait être une vertu, je le porte comme un boulet. Que c’est compliqué d’hériter d’un rôle aussi singulier, celui de violenter pour construire. Avouons que cela n’a rien de réjouissant d’être dédié à cogner. À moins que je me focalise sur la direction ? Une pièce bien aménagée, un mobilier original ou indispensable, une cabane perchée pour le bonheur des petits enfants, une chaise sur laquelle méditer, un cercueil apaisant…

J’aime tant la joie du soir et cette perception de satisfaction : me sentir à ma place et avoir donné. J’ai besoin de sourire, et puis d’embrasser, mais avec un clou c’est très limité. Que me conseillez-vous pour n’être du marteau, que le nom et non la fonction ? Je veux être apprécié pour ce que je suis… corps et âme, je serais ravi – mais ce n’est pas simple, j’en ai le tournis !