Tout ce qui arrive a-t-il forcément une cause ? Admettre l’existence de phénomènes sans cause, c’est admettre une existence sans origine. Des enfants sans parents, il n’en manque pas. Mais les orphelins tirent leur ADN d’une chaire bien réelle. Un enfant issu de rien ni de personne, cela n’a aucun sens. Voilà pourquoi l’existence de Benjamin était impensable.

Benjamin était apparu un matin d’octobre, au détour d’un virage, sur l’A10. Sa première empreinte sur terre fut la création d’un carambolage monstrueux qui bloqua l’autoroute pendant 8h. Miraculeusement, il n’y eut aucun mort. L’enfant fut conduit à l’hôpital le plus proche, tandis que la police mena son enquête. Qui avait pu déposer un bébé au milieu de l’autoroute? Les images des caméras de sécurité furent épluchées sans succès. Tout venait corroborer les dires du routier, qui avait héroïquement évité l’enfant : “à un moment y avait personne, et tout à coup, pouf, un bébé!” L’hôpital examina l’enfant et détermina qu’il devait être tout juste né. Cependant, il ne comportait aucune marque, aucune trace du vernix dont les nourrissons sont couverts à la naissance et, surtout, pas de cordon ombilical ni de nombril… Son ventre était lisse et plat. C’était comme s’il ne pouvait pas être né. Pourtant, il était là. Il fût soumis à tous les examens possibles. L’IRM, l’échodoppler, comme le l’ECG et l’hémogramme, toutes les machines, comme les hommes, s’accordaient à dire que cet être surgi de nulle part était vivant et apte à le rester. Les circonstances de son arrivée sur terre demeuraient un mystère. L’information fuita bientôt et les journalistes se pressèrent devant les portes de l’hôpital. Infirmières, médecins, agents d’entretien, techniciens… Chacun avait sa version des faits. Et quelques-uns la partagèrent avec la presse. Selon la ligne éditoriale, le nourrisson devint tantôt un enfant issu d’une secte pratiquant des expériences scientifiques sur la reproduction par clonage, tantôt le fruit d’un complot gouvernemental servant à détourner l’attention du public, d’autre fois le nouveau messie, ou bien un extraterrestre, Bouddha, un voyageur du temps, un canular… La rumeur enfla et se répandit sur terre.

Une assistance sociale, qui trouvait la situation parfaitement insupportable, décida de soustraire l’enfant au regard de la science et des médias. Elle s’enfuit avec lui et lui donna un nom. Benjamin grandit à l’abri des rumeurs et entouré d’amour. Il mena une vie paisible auprès de Sandra, sa mère d’adoption. Il apprit tout de la nature et des animaux. On aurait dit qu’il savait parler leur langue, tellement il évoluait avec aisance parmi eux. Sandra se donnait pour mission d’être le témoin de cette vie qu’elle qualifiait de miraculeuse. Elle tenait un journal quotidien et n’hésitait pas à filmer Benjamin dans ses activités et dans ses interactions avec la nature. Un matin, alors qu’il s’occupait d’un oisillon tombé du nid, Sandra sortit sa caméra. Elle observait Benjamin à travers l’écran. Il était devenu un jeune homme aux gestes sûrs. Un sourire se dessina aux coins de ses lèvres, elle éprouvait pour lui de la tendresse, de la fierté et beaucoup d’admiration. Elle se sentait à la fois mère et élève de cet être unique. Elle avait tellement appris, à son contact. Elle fut émue par cette pensée. Sur l’écran, elle vit Benjamin se lever et s’avancer sur le chemin de terre. Il était là, debout et paisible dans la lumière d’automne. Il était là, de sa belle présence. Puis soudain, il n’était plus là. Benjamin avait disparu comme il était apparu, laissant derrière lui une odeur de mystère que le monde s’emploierait à étudier, à fantasmer pendant les centaines d’années à venir. Venu de rien, parti nulle part, il allait interroger les hommes sur leur présence en ce monde. Qu’en feraient-ils?

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