Bertille était revenue du marché la tête farcie de pensées dérangeantes, la faute à son neveu Ernest qu’elle y avait rencontré et qui s’était collé à ses basques comme une moule à un rocher. Elle n’avait rien d’une langue de vipère et finalement elle l’aimait bien ce petit, mais qu’il avait de drôles d’idées, elle s’était même demandée si la chute à vélo quand il avait quatre ans ne lui avait pas laissé des séquelles jusqu’alors peu visibles.
L’an dernier, de retour d’une escapade en Vendée, il lui avait offert un bocal de pâté du Marais Poitevin, en soi c’était une idée charmante et elle en avait été touchée, mais quand elle lut sur l’étiquette du produit « pâté de ragondin », imagina l’animal aux grandes incisives rouge qui avait sapé les fondations du moulin du cousin de son beau-frère, elle avait poussé un grand cri et en avait voulu à Ernest de lui faire pareille farce. Le dégoûtant cadeau reposait depuis, sans doute pour l’éternité, sur la plus haute étagère du garde-manger.
Aujourd’hui c’était à l’étal de M. Colin, où Bertille envisageait d’acquérir un beau congre, que le jeune original l’avait entrepris d’étranges théories pseudo-scientifiques. Prenant appui sur la promotion de seiches faite par le poissonnier, il débita une histoire sans queue ni tête où, si elle avait bien retenu, il était question du camouflage dont l’animal était un champion à cause des caractéristiques de sa peau. Franchement la peau de la bestiole, là, sur l’étal, ça ne l’inspirait pas vraiment, mais Bertille, poliment avait écouté. L’adolescent passionné avait parlé de lumière qui se réfléchissait, de couleurs fantastiques, d’un tas de mots en ‘phore’ dont elle n’avait jamais entendu le son. Mais le pompon ce fut sa conclusion que bientôt, grâce à cette connaissance, on saurait faire des capes d’invisibilité comme dans Harry Potter. A ce moment la patience de la matrone avait atteint son maximum et le séisme était inévitable. Le marché retentit d’un bref mais formidable « Arrête de me prendre pour une bécasse ! » laissant Ernest médusé, les camelots sans voix et les badauds affolés. Drapée dans sa dignité retrouvée Bertille, lestée de son poisson, rentra pour le cuisiner.
Bravo Bertille, tu sais tout faire: des algoscopages, choisir et cuisiner du poisson et le must, moucher cette pipelette d’Ernest!
J’ai lu le texte voisin de Mélanie avant d’arriver à la poissonnerie et je pense que Bertille peut se lancer dans l’Algoproust (ou alors Ernest!)
Voilà un beau texte qui nous redonne le sourire. Merci 😀