Par un clair matin, comme le printemps sait nous en offrir après ces trop longs hivers mornes et gris, avec un soleil suffisamment ardent pour justifier parasols, lunettes de soleil, tenues découvertes et qui donnait à chacun l’envie de tous les possibles dans cette douceur de vivre et ce renouveau, je me trouvais à la terrasse du café : Le Central, celui qui avait la plus grosse cote auprès des habitants de ma petite ville, car les deux garçons, vêtus de noir avec petits gilets aux multiples poches qui avaient chacune leur rôle, ayant toujours un petit mot à l’adresse des consommateurs, servaient avec maestria et grande amabilité, un café d’une saveur sans pareil et que justement dégustait un couple d’une originalité peu courante dans les parages : l’homme aux allures d’artiste, cheveux longs attachés en catogan, peut-être un écrivain ou bien un maître de musique, narrant par le menu le dernier roman de Proust qu’il venait de lire à une femme, élégante avec un brin de vulgarité, juste assez pour posséder cette touche aguicheuse qui la rendait si féminine jusqu’au bout de ses ongles peints ; mais pas trop pour ne pas être confondue avec une de ces grues de quartier, et ce couple me fit penser à ce que ma grand’mère , dont la connaissance littéraire n’était jamais allée plus loin que la Bible et les livres à l’eau de rose de Delly, aimait à répéter à longueur de temps : « chaque pot a son couvercle », mais ce proverbe était bien incomplet, donc mensonger, puisqu’il n’avait pas pris en compte le fait que tout couvercle pouvait aisément s’adapter à un autre pot que le premier choisi quand l’envie lui en prenait, ou inversement – tous ceux qui ont traversé la crise de la quarantaine sauront de quoi il en retourne – et c’est ainsi que j’en fis l’amère expérience puisque mon couvercle, après vingt années de bonne coordination, loyaux services et bonne entente avec quelquefois, malgré tout, quelques notes discordantes, la naissance de deux enfants, bien entendu, les plus beaux et les plus intelligents que la terre n’ait jamais créée jusqu’alors, et la monotonie d’une vie trop bien rangée, s’en alla à la recherche de quelque autre pot ou potiche et trouva très vite chaussure à son pied et que par conséquent, je dus chercher moi-même, de pot en pot, pour trouver la meilleure adaptation possible à ma nouvelle condition, ce que je fis avec la plus grande conviction pendant quelques années avec quelquefois le plaisir de quelques belles découvertes, mais je dus très vite me rendre compte, après quelques autres essais infructueux, qu’entre-temps, les couvercles ayant trop servi étaient quelque peu cabossés, éculés et avaient perdu de leur brillance, donc je pris une ferme décision, que vous comprendrez aisément, à savoir de rester découvert et je me rendis compte que cette liberté retrouvée m’offrait toutes les réussites d’un épanouissement sans borne et que toutes les activités que j’avais jusque là mis entre parenthèse me remplissaient de joie en les abordant au gré de mes envies, à n’importe quelle heure de la journée, puisque nulle contrainte ne venait freiner cette ardeur soudaine et la vie devint alors d’une richesse que jamais je n’avais rencontré auparavant et que je n’aurais jamais soupçonné et pourtant, par un beau jour d’été, j’ai bien failli craquer pour un couvercle qui attira mon attention sur le banc d’un marchand du marché aux puces qui se tient chaque dimanche le long de cette petite rivière verdoyante mais après plusieurs passages devant lui, je dus me faire violence et le laisser à sa destinée tant la soif de liberté m’était devenue vitale pour mon équilibre que j’avais bien failli perdre devant les difficultés de la vie et je pensais soudain à cette belle phrase de Jacques Amyot « l’impatience ôte le mouvement aux hommes et les pousse au danger ».
Bravo! Pas un point de trop 😉
Incroyable ! Chapeau bas chère Mélanie 😀
Je dois féliciter @MAGUY et @Ma Pie pour leur courage d’avoir lu ce texte sans la moindre plainte d’essoufflement. J’adore cet exercice mais le plus dur … c’est la lecture !