J’étais née par un début d’été sous le trait encore un peu malhabile d’une fillette grâcile.

La consigne de l’enseignante obéïssante avait été la suivante: inciter sa classe de gamins à dessiner pour Pétain qui devait parcourir le patelin dès le lendemain matin.

Ainsi naquirent toutes sortes de délires de la plume de ces innocents petits sbires: képis étoilés et galonnés, soldats de plomb en armée, poupées endimanchées ou bien encore gerbes de fleurs tricolores enrubannées dans leur panier d’osier.

Suzanne, élève silencieuse, solitaire et sérieuse, songeait surtout à ce qui servirait le plus souvent et le plus sûrement à son sénile président.

C’est alors que lui vint l’idée chouette et subite de me donner vie, à moi, la brouette.

Je le dis à présent fièrement: j’étais une belle brouette de bois brut, de celles qui ravissent les enfants et agrémentent leurs culbutes.

La petite, apprentie artiste, me comparait déjà avec gloriole à celle de son grand-père Paul, le directeur de l’école qui, c’est bien certain, au maréchal Pétain préférait Vincent Auriol.

L’institutrice, hélas, ne fut pas de cet avis et, soupçonnant de la gosse une sournoise malice, décida avec colère de sévir d’une manière assez rosse.

Sollicitant des écoliers assemblés le soutien dans une huée de sifflements assourdissants, elle me saisit sans pitié et, après m’avoir froissée dans un geste exaspéré, mit fin de façon exemplaire à ma trop brève carrière en me jetant dans la corbeille à papier.

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