Fourbu par le long chemin parcouru sous un soleil de plomb, l’homme aux yeux vairons s’arrêta au pied d’un bosquet pour s’y reposer à l’ombre, sans réaliser qu’il venait de passer la clôture d’une grande propriété. En baroudeur aguerri il avait avec lui le nécessaire à une courte pause confortable et s’installa donc du mieux qu’il put pour récupérer quelque énergie afin de poursuivre sa route.

Floriane sortit sur le perron du manoir, son regard émerillonné brillait de satisfaction à l’idée de l’ouvrage qu’elle s’apprêtait à faire. Elle entretenait son jardin avec le même soin que son salon ; tous deux lieux d’apparat, ils se devaient d’être parfaitement ordonnés, rangés, sa réputation était à ce prix et elle y mettait tout son cœur. Armée d’un sécateur et poussant sa brouette chargée des outils de jardinage indispensables, elle s’engagea avec ardeur dans le massif à soigner. Ses jolis buis centenaires ne pouvaient supporter ces quelques brindilles folles qui avaient poussé anarchiquement, elle allait y remédier immédiatement en les sectionnant sans pitié, puis se régalerait à peigner soigneusement l’allée menant au bosquet afin d’en éliminer chaque feuille tombée. En toutes choses Floriane avait en horreur le désordre et l’asymétrie, cela générait chez elle un sentiment de déplaisance incontrôlable. Cela explique sans doute sa réaction à la vue de l’homme allongé sur la pelouse. Mais, plus que cet affront évident à l’ordonnancement de son jardin, ce fut la découverte de son regard étrange qui déstabilisa la châtelaine : un œil bleu et l’autre marron, l’être ainsi constitué ne pouvait être bon, il fallait le chasser de son paradis ! Sans laisser au pauvre voyageur la moindre chance de s’excuser de sa présence inopportune en ce lieu, la jardinière devenue folle chassa l’inconnu à grands coups de râteau.

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