« L’esprit humain souffre d’une carence intellectuelle fondamentale : pour qu’il comprenne la valeur d’une chose, il faut le priver de cette chose.» Amélie Nothomb

Il aurait pu tomber plus mal… en tout cas c’est ce qu’il se répétait tout au long de ses longues et douces journées, alangui, à l’ombre de sa petite hutte. C’était une pensée qui l’habitait le matin, en dégustant un en-cas de fruits juteux et une bolée de lait de noix de coco, au milieu du jour après un bon poisson grillé et une sieste digestive dans son hamac de fortune, et encore le soir lorsqu’il contemplait l’horizon se parer de couleurs incroyables au-dessus de l’océan.

De quoi pouvait-il donc se plaindre ? Naufragé sur une île paradisiaque lui offrant tout le nécessaire pour vivre, juste en tendant la main, et par-dessus tout une compagne sublime, naïade aux cheveux de feu, à la voix envoutante, douée d’une écoute patiente et empathique. Leurs rencontres à la lisière de la mer étaient remplies de longues discussions l’un racontant à l’autre son monde : elle lui disait l’onde et les vagues, les poissons et les tortues marines, les algues et les coraux, l’univers aquatique tout entier où les sirènes vivaient ; il lui apprenait les pérégrinations de sa vie de pirate, les navires et les ports, les villes et les maisons des hommes.

Un sujet les avait rapprochés tout particulièrement, la douleur de ne pouvoir marcher pour elle – il n’y a que dans les contes que les sirènes arrivent à négocier une paire de jambe à la place de leur magnifique queue – et la difficulté à se déplacer pour lui – une méchante blessure lui ayant valu amputation, il pratiquait la jambe de bois depuis déjà longtemps et il en résultait qu’il évitait au possible toute excursion à l’intérieur de l’île.

La vie aurait pu s’écouler lente et belle dans cet échange quotidien, bercé par une nature féérique, mais ce soir-là l’homme était étrangement triste. De profonds soupirs, un regard perdu au large, par des indices de plus en plus nombreux la femme aux écailles arc-en-ciel sentait que son ami terrien perdait peu à peu le goût de vivre.

– D’où te vient cette langueur nouvelle ? Que te manque-t-il pour retrouver la joie ?

– Rien en vérité… si ce n’est la possibilité de quitter le paradis…

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