Forum Replies Created
-
AuthorPosts
-
– Après tout ! Je ne fais que rendre ce chien à son maître ! L’occasion fait le larron ! Diantre !
À cinquante ans passés, Hubert de Montalembert n’avait jamais mis les pieds dans ce genre d’établissement. Dans son club à lui, on fumait le cigare en parlant des exploits d’un étalon récemment acquis ou de l’envolée du cours de la bourse mais jamais, au grand jamais, la direction ne laissait y pénétrer quiconque appartenant à la gent féminine. S’il passait ses soirées au club, c’était pour fuir son épouse et ses babillages intempestifs et il était loin d’être le seul dans son cas. Hubert avait bien une maitresse, pour faire comme tout le monde, mais les choses du sexe ne l’intéressaient pas ou pour être exact, elles ne l’intéressaient plus. Il avait bien vécu une passion torride, il y avait de ça une bonne trentaine d’années, avec une ravissante jeune femme qui, hélas, n’était pas de son milieu ; il était fou d’elle mais entre eux, rien n’était possible et la raison l’avait emporté.
Il jeta un regard circulaire au petit salon et à ses occupants : l’aveugle à qui il avait ramené son bouvier bernois, à qui il avait visiblement volé l’attention de son public et qui le regardait comme un chien dans un jeu de quilles ; Dame Claude, tout sourire devant l’apparition inespérée de ce potentiel mécène, imaginant déjà son hôtel borgne devenir l’antichambre de la haute société ; Robert, qui bandait ses muscles d’un air de dire “tiens-toi à carreau”, comme si Hubert représentait une menace quelconque, et enfin les “filles”. Pas de première jeunesse, les filles, on aurait dit des copies de son épouse peinturlurées et outrageusement vêtues. Mais alors que son regard glissait sur la dernière de ces dames, la fameuse Irina qui s’était subrepticement écartée du jeune aveugle à son entrée, le cœur d’Hubert, son âme, et surtout sa tension artérielle s’emballèrent de concert.
– Annette !!! C’est bien toi ??!!
Quand “les filles” déboulèrent enfin dans le petit salon, minaudant à qui mieux-mieux, Théodore, notre aveugle, avait déjà sifflé plusieurs coupes d’un mousseux plutôt douteux. Un peu pompette maintenant, il se félicita de l’erreur qui l’avait conduit ici, comptant bien passer un agréable moment aussi inespéré qu’inattendu en fort bonne compagnie. À sa place, d’autres auraient sans doute pris la fuite devant ces visages vieillissants couverts de fards bon marché et ces corps dont les atouts n’en étaient plus depuis longtemps, mais son handicap avait au moins le mérite de lui épargner cette vision. Au contraire, l’excitation qu’il percevait dans leurs voix l’émoustillait, les effluves capiteux des parfums dont elles s’étaient aspergées lui tournaient la tête, ajoutant à sa légère ivresse, et il se serait presque cru au paradis.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la présence de ce nouveau client intimidait ces professionnelles endurcies. Il était plutôt jeune et assez bien de sa personne, rien à voir avec les sexagénaires bedonnants qui formaient maintenant leur cœur de cible. Elles voletaient autour de lui comme une nuée de midinettes, mais aucune ne parvenait à franchir le pas.
Une dénommée Irina fut la plus hardie, qui vint lui susurrer une invitation pour le moins explicite à l’oreille. Au moment même où Théodore tendait une main gourmande vers sa nouvelle conquête, un énorme bouvier bernois fit irruption dans la pièce et fonça sur eux.
— Hector ! Tu m’as retrouvé, s’écria l’aveugle…
-
AuthorPosts