Je ne sais pas quand je suis née parce que je suis un objet. Mon premier souvenir remonte au moment où j’ai entendu une voix féminine dire : « Celle-là. » J’ai senti dans cette voix une impatience, un pétillement, un contentement. Elle savait exactement ce qu’elle voulait.

Et moi, je sais tout ça. Je sais les hommes, je sais les magasins, les vendeurs et cette jeune fille. Je sais dans quel monde j’étais tombé, celui des humains sur la planète Terre. Mais je ne sais pas grâce à quoi je sais.

Un homme m’a rangé dans une boîte et j’ai été trimbalée dans un sac. Je ne peux rien dire de ce qui s’est passé entre le moment où j’ai été enfermée et l’instant où deux mains fraîches m’ont saisie pour me poser sur un bureau.

Un bureau. J’avais conscience que j’étais placée quelque part en hauteur sur la planète. Dans une chambre de bonne au septième étage.

L’étudiante était vraiment contente de me manipuler. Elle s’amusait à appuyer sur « On », à mettre des cartouches, du papier et à taper des phrases au hasard en utilisant ma mémoire électronique. C’était très désagréable d’être ainsi badibulguée.

Oui, ne me demandez pas comment je connais ce mot « badibulgué ». Il fait partie des choses que je connais sans savoir pourquoi. Je sais que le Concombre masqué est un peu fou-fou et je sais aussi qu’il existe des gouvernements très sérieux.

C’était une espèce de torture de subir l’écriture de toutes ces phrases mélangées, qui n’existaient que pour le bon plaisir d’une étudiante. Mais moi, en tant que machine à écrire, de quoi avais-je envie ? Cette jeune fille s’était-elle même posée la question une seconde ? Je ne pense pas, non. Tant d’égoïsme…

J’avais bien saisi le manque d’âme des humains. J’étais juste un objet. Je savais intrinsèquement que ma vie ne dépendait que de mon fils électrique et d’une paire de doigts effilés.

La jeune fille me réveillait quelques heures par jour et m’oubliait le reste du temps. Ennui. Ses pensées dramatiquement poétiques et naïves me vidaient de mon sang noir.

J’étais un petit bijou de technologie mais je m’ennuyais ferme. Ça a duré quelques mois, puis je suis volontairement tombée en panne, non mais.

 L’étudiante a tout essayé pour me faire revenir. Pas question. J’ai résisté. Elle a repris son cahier…

Je voulais vivre, voir le monde. Par la force de ma pensée, j’ai incité l’étudiante à me céder à un Géodémontetout. Bingo ! J’ai atterri chez le curieux…

 Maintenant, je suis démantelée. C’est passionnant ! Toutes mes pièces sont détachées, elles se promènent un peu partout dans le monde et servent à plein de choses…

J’ai des consciences différentes qui vivent des expériences variées. Je suis devenue une et multiple. Ne me demandez pas comment tout cela est possible. Je suis faite de matière et je vis.

Je me sens plus tic tac toc, toc tic tic tac que jamais et j’adore ça !

 

 

 

 

 

0
L'auteur-trice aimerait avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x