12h05…..je la vois bien cette horloge accrochée au mur de la cuisine de la halte garderie.
D’où, je suis assise, contre le mur du réfectoire, je ne vois qu’elle. Le regard fixe, n’étant plus maître de moi.
Pour une fois que l’équipe pouvait travailler dans de telles conditions; la réunion d’équipe était prévue à 13h30, et de ce fait, du personnel remplaçant était en plus des effectifs en cette fin de matinée, pour nous permettre de manger en semble et de faire la relève dans de bonnes conditions.
C’était le jour où j’étais censé être en poste dans la section des bébés pour le temps des repas. Un moment que j’apprécie, intensif, où il faut bouger, surtout après une matinée bien chargée à m’occuper des réservations pour la semaine suivante et à rentrer les présences des enfants dans l’ordi en prévision de la facturation du mois. Rester toute une matinée, assise, devant un écran, alors que mon quotidien est plutôt ponctué par des allers et venues dans la structure, à m’occuper de ces petits bouts dont je prends plaisir à soigner depuis 26 ans.
Alors, oui, en prenant mon poste chez les bébés, ce jour là, je me suis dit que je pouvais m’octroyer un petit temps sympathique, relax, étant donné le nombre de professionnelles présentent à cet instant. C’est pas tous les jours où l’on peut se détendre un peu, lâcher la pression.
Me voilà donc partie avec Marley dans les bras faire un petit tour au centre social. Elle aime bien ça ,cette petite coquine, les bras ,et se faire promener dans les locaux. Surtout, elle arrête de pleurer, ce qui nous fait du bien aux oreilles. J’ai le temps, aujourd’hui, de le faire et en même temps je peux faire un petit coucou à mes collègues du côté centre social. Je les vois si peu.
Je suis bien, tout va bien.
Marley est calme, moi réjouie de me promener ainsi, et je me dis que j’irai bien papoter5 mins, aussi, avec mes collègues qui sont dans le réfectoire, histoire de profiter encore un peu de ce moment.
Je suis, donc, assise sur cette petite chaise. dos contre le mur, et suis en bonne position pour tenir Marley dans mes bras. On discute, on rit ; Besa, sur ma droite, gérant sa tablée d’une main de velours, Myriam, à ma gauche avec Alex ( on est en sur nombre) gérant la deuxième tablée tout aussi délicatement.
Et tout d’un coup, je sens tout mon côté droit s’engourdir, d’abords mon pied, puis ma jambe, ça monte dans mon bras, et je sens que je bascule tout doucement sur la droite sans que je puisse réagir, je sis impuissante !
C’est horrible cette sensation de ne plus pouvoir contrôler son corps. Il me reste encore la parole. Alors je crie !! Je crie à mes collègues de me prendre le bébé. Besa ne veut pas croire que rien ne va et me demande d’arrêter de faire l’imbécile. Oui, car j’ai constamment l’art de faire le guignol ! Mais je ne fais pas l’imbécile, je tombe lentement à droite et je ne peux rien faire. Mais je sais que j’ai Marley et comme je ne veux pas lui faire de mal, alors je crie encore ” prenez le bébé, prenez le bébé ” !
Myriam, sans vraiment comprendre ce qui se passe, me prends enfin Marley. Besa comprend tout d’un coup et crie ” elle fait un AVC ” ! J’ai encore le temps de dire d’appeler le 18 ( oui je me suis trompée mais dans l’urgence c’est ce numéro qui est venue ) et d’entendre Alex, au loin, dire qu’elle va s’en occuper. Je vois encore Besa avec son visage dont les yeux ont l’impression de sortir de leurs orbites et son expression sur son visage: un mélange de douleur et de désespoir.
Il est 12h05, je ne vois plus que cette horloge immobile, moi impuissante. Je me sens partir doucement, mon esprit s’endort et je n’ai pas peur !
On est le jeudi 13 septembre 2018, tout devient noir à 12h05 et ma vie bascule en moins d’une minute.
Très impressionnant et émouvant. De deux choses l’une: soit vous l’avez vécu, et savez le partager ; soit vous l’avez imaginé, et vous êtes déjà romancière. Moi j’ai eu, grâce à vous, un grand moment d’émotion.
Je l’ai vécu….mais pas evident de mettre en mots mes sentiments. Merci pour votre retour.
“pas évident de mettre en mots mes sentiments”… : c’est là qu’est votre talent que je salue. Bravo! Vous possédez l’essentiel. Travaillez sur la langue, c’est l’accessoire, indispensable – certes ! –, mais accessoire… (La langue est vivante, elle évolue… La transcription des sentiments dans le verbe est constante, au fil des millénaires… dans toute langue!)
Soyez aussi assurée de ma sympathie en regard de la souffrance que vous avez probablement subie dans l’accident (AVC).
Texte très touchant et empli de vérités.
Merci votre commentaire. Je ne sais pas vraiment inventer des histoires, mais j’ai en tel besoin de faire partager mon vécu à d’autres, nonpas pour m’exposer, mais pour faire ressentir aux gens toutes ces simples émotions ou difficiles, les moments de desespoir, d’incompréhension, de doute, de rage, de lâcher prise…..en fait, tous ce beaucoup n’osent pas faire de peur du regdrd des autres. Je suis arrivé à un point aux les autres sont et leurs préjugés ne m’atteignent plus.Et par ces quelques textes, je souhaite montrer aux âmes blessés qu’elles ne sont pas seules. Au contraire, nous existons avec notre passé mais nous voulons aider ceux qui n’arriveraient pas à s’exprimer et trouver au moins un moment de réconfort en lisant ces mots déchirants, forts pour leur dire qu’ils ne sont pas seules……