Une limace se sentait mal de ne laisser dans son sillage qu’une trace baveuse qui séchait au soleil et laissait toujours voir où la menaient ses reptations . Triste elle traînait sa pulpe le long d’un chemin de traverse qu’un tracteur (celui de l’agriculteur d’à côté) avait tant bien que mal dégagé entre la longère et le champ dans lequel il faisait paître ses bestiaux .
Ce chemin ne datait pas d’il y a si longtemps, les traces des pneus géants de l’outil agricole étaient donc profondément sculptées dans une terre grasse qui ne séchait presque jamais tant le temps était humide malgré l’été bien avancé . La limace éprouvait quelque mal à descendre au fond des tubulures imprimées en creux, et des rainures imprimées en relief, lesquelles lui demandaient un effort considérable et toujours renouvelé : partie le matin vers cinq heures ( elle avait bel et bien lu l’heure au clocher qui jouxtait la ferme) elle n’était, à presque midi pas même rendue au milieu de cette trouée .
Un moineau passait par là : il comprit la détresse de notre mollusque, qu’il interpella en ces termes : ” – Dame limace, vous vous donnez beaucoup de mal pour pas grand chose : le champ vers lequel vous rampez ne vous fournira ni nourriture ni même cachette confortable et humide : l’herbe en est coupée, vous n’y trouverez que désagrément, je ne vous conseille pas de poursuivre votre chemin, l’ayant moi-même survolé ce matin tenez ce que je vous dis pour vrai et faites demi tour !” Ces paroles sensées ne touchèrent pas notre limace qui répondit en ahanant “- Laissez-moi faire, oiseau de malheur ! Vous ne savez pas même pourquoi je m’impose cet effort et vous venez me donner des conseils ? Passez votre chemin, je sais ce que je fais !”
Et elle poursuivit son chemin avec persévérance et rage aussi bien qu’avec tristesse : elle pensait , à force d’effort se débarrasser de cette bave gênante qui finirait bien par se vider de son petit corps musculeux . Elle rampa, rampa pendant des heures, elle bava, bava pendant des heures, elle s’épuisa, s’épuisa pendant des heures, à telle enseigne qu’à la fin de la journée la bave ne laissait plus qu’une trace à peine visible, et que le moineau, qui la surveillait de haut, eut même un peu de mal à la localiser . Il repéra cependant un petit trait noir sur une feuille verte : la limace épuisée, sèche, vidée, qui ne respirait plus, s’étant reniée tout à fait, ne lui fut même d’aucune consolation : son petit corps coriace ne l’intéressait pas : ” En voilà encore une qui recherchait l’extase en reniant sa nature…je l’avais prévenue “
La langue est belle (précise et simple à fois) , la tournure poétique, le propos écologique (donc humaniste à mes yeux…).
“…vous vous donnez beaucoup de mal pour pas grand chose…” : j’ai pensé à Sisyphe, et aussi – en même temps ! -, à ce film de Yojiro Takita : “Departures” : la scène des saumons qui se tuent à remonter à la source de leur vie…
Vous lire (ma lecture), Brachen, est un plaisir.
Héberger vos deux premiers textes : un honneur.
Je vous souhaite la bienvenue sur l’Algo, Brachen !
Cependant, ni Camus ni Takita ne tirent jamais moindre morale de leurs questionnements… (…)
C’est peut-être ce qui fait que je les aime, eux.
Après (sourire…), désirez-vous mon amour ?!
En tout cas, encore une fois : bienvenue sur l’Algo, Brachen, et bravo pour ce bel AlgoScopage !
J’ai une phobie (absurde, je le reconnais!) des limaces, donc j’ai énormément apprécié d’en voir une en baver dans une si belle syntaxe. Bravo. Oui, bienvenue dans cette communauté de l’Algomuse que je ne fréquente que depuis à peine une année mais qui offre tant de potentiel de créativité.
Un p’tit “visuel” (image) (libre de droit sous Pixabay) pour vos textes, ce serait chouette et attractif quand ils passent dans le bandeau déferlant de haut de page. J’ai cru comprendre que vous étiez un peu “technophobe” (moi aussi). Au début j’étais septique mais à présent, je comprends la force que l’image donne au texte lorsqu’on le publie sur internet. On peut vraiment jouer avec les deux, c’est génial.