La Fée du lac (d’après une légende de Savoie, région d’Annecy)
Au début du Moyen Âge, un roitelet local désirait épouser une noble princesse d’origine burgonde nommée Hildegarde. Le père de la fille, qui savait le souverain cruel et débauché, s’opposait de toute son énergie à ce mariage.
Il fut arrêté, accusé de sorcellerie (il avoua sous la torture) et brûlé vif. Ses cendres furent jetées dans le lac voisin. Le roi réitéra sa demande. Il l’assortit d’une menace à peine voilée concernant la famille de la princesse, en cas de nouveau refus. Hildegarde céda, mais horrifiée par la conduite de son mari, elle chercha à fuir.
Le roi la fit enfermer dans la plus ancienne tour de son château (qui prit plus tard le nom de « Tour de la Reine »).
Un garde dévoué à Hildegarde lui apprit que sa mère et sa sœur s’étaient réfugiées dans un canton suisse. La nuit suivante, avec l’aide du garde complice, elle réussit à s’échapper de la forteresse ; mais le roi, bientôt averti, se lança à sa poursuite avec ses hommes.
Au petit matin, Hildegarde se retrouva cernée de toutes parts, sur la falaise du Roc de Chère, un à-pic de 40 mètres au-dessus du lac. Soudain, il lui sembla entendre la voix de son père :
« Vite, rejoins-moi, ma fille ! »
Sans hésiter elle sauta et disparut dans les tourbillons qui rendent cet endroit si dangereux.
Les bateliers de Talloires eurent beau chercher dans les anfractuosités des rochers, plonger, sonder, lancer des filets, on ne retrouva pas le corps de la reine .
La légende prétend que, devenue par magie Fée du lac, elle se cacha dans une grotte souterraine inaccessible aux humains.
Depuis, de nombreux noyés ont disparu sans qu’on réussisse à les localiser.
Pour les riverains, pas de doutes : c’est la Fée du lac qui les a recueillis, puis qui leur a rendu la vie en les transformant en beaux cygnes. Elle leur permet de conserver leurs souvenirs humains tant qu’ils ne tentent pas de s’envoler et de quitter le lac.
Elle les aide à se nourrir et chante pour eux des mélodies qu’ils sont seuls à entendre.
Les cygnes se mettent alors à glisser en cadence, à tourner de concert, offrant l’image d’un harmonieux ensemble sur l’onde frémissante.
Les deux villages qui encadrent le Roc de Chère, Menthon Saint-Bernard et Talloires devinrent à la mode dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle : Renan, Hérédia, Gide, Taine, André Theuriet, Marie Bashkirtseff, Cézanne y séjournèrent.
Par contre, aucun historien ne mentionne l’escapade qu’y fit, incognito, le grand compositeur russe Piotr Tchaïkovski.
En mal d’inspiration, déprimé,le musicien décida de passer quelques jours au bord du lac.
A Talloires, il loua une barque. L’idée funeste de rejoindre la Fée lui effleura-t-elle l’esprit ? Nul ne peut le dire.
Au large, un cygne s’approcha de son embarcation. Le compositeur, à la sensibilité exacerbée crut découvrir, derrière le regard de l’oiseau l’âme d’un humain. L’homme et le cygne voguèrent côte à côte un long moment. Soudain, Piotr Tchaïkovski eut la certitude d’entendre, venant du fond de l’eau, une musique enchanteresse…Il ferma les yeux. Quand il les rouvrit, le cygne s’était éloigné.
De retour sur terre, le musicien s’empressa de transcrire les mélodies qui l’avaient tant charmé.
Sur cette musique, lui vint peu après l’idée d’un ballet.
Ainsi serait né « Le lac des cygnes ». Le danseur étoile du Bolchoï, Vassili Fiodorovitch Gelzer, ami intime de Piotr, l’affirme dans une *lettre adressée à son frère; mais on n’est pas obligé de le croire.
*Bibliothèque de l’Hermitage, St Petersbourg – Manuscrits autographes, domaine musical.