Quelques fois je suis pleine de ces voix anciennes

Voix d’acier cinglantes de certaines enseignantes qui furent les miennes.

Voix nasillarde de canard du cancre chef de la bande et roi de la bagarre.

Et le temps de ces supplices d’antan m’engloutit, minute par minute. Je replonge en enfer dans une ultime culbute.

Oui, ceux à qui le sort confia mon enfance n’avaient pas toujours de leurs travers pleine conscience. Ils sévissaient sans presque le savoir, savourant d’être sévères comme si c’était un devoir.

Combien de tourments et de maux n’ont-ils pas été subis au nom de la République et de Jules Ferry?

Fillette silencieuse et solitaire, je devins vite la martyre docile, l’innocente condamnée d’une horde de gosses serviles, privés de leur histoire et rossés de toutes parts.

C’est que nous en avions assez, là, de ces cerveaux plats, ferments de monstruosités hargneuses, de haine populace dont jamais cette planète ne se débarrasse.

Les uns allaient, tout courbés sous le fardeau des peines quotidiennes, du vice maternel traînant l’hérédité. Futurs alcooliques en puissance, ployant sous le joug de la familiale violence.

D’autres usaient insolemment d’un factice pouvoir emprunté à leurs parents. Ceux-là étaient bien les plus à craindre car de leurs coups-bas nul ne pouvait se plaindre sans ordre social enfreindre.

Aux gamins du patelin empressés à les suivre en un pitoyable troupeau, ils soufflaient les attaques, commanditaient les complots, ordonnant les vols de cartables tout comme les paires de claques.

Le vilain petit canard, leader de cette meute de piètres louveteaux, comment l’oublier? Comment simplement lui pardonner?

Il portait un prénom christique et un patronyme floral mais déjà de tout son jeune être émanait une maléfique et infernale aura.

Fils aîné du boulanger, il menait comme son père son monde à la baguette, distribuant à l’envi pains et tartes à qui tentait de lui tenir tête.

Ses deux petits yeux méchants cerclés de lunettes argentées dardaient de vifs éclairs sur les écoliers disciplinés qui n’avaient pas l’heur de lui plaire.

En lui je reconnaissais Satan à son rire moqueur chaque fois qu’il s’en venait à moi, se réjouissant d’avance de déclencher mes pleurs.

J’ai traîné cinq années cette scolarité incertaine et mauvaise, cherchant en vain quelqu’un qui me comprenne et qui m’aime.

De cette sombre et interminable fatalité je ne me suis jamais réparée.

J’ai maudit ma mère et désiré mourir, nourrissant en moi-même une soif de vengeance qui ne cessait de m’envahir.

Aujourd’hui encore, alors que j’ignore s’il vit toujours ou s’il est mort, cet amer bourreau me suit, quand je me crois toute seule, et quand je le revois, lui et ses veules et fidèles acolytes, c’est toute mon existence actuelle qui dans ces antiques souffrances de nouveau se délite.

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