Elle a lu et relu cette lettre. Rien, rien que de très banal. Les nouvelles du temps, de sa famille, les visites faites aux uns et aux autres, les remerciements pour l’accueil. Rien qui aurait pu laisser deviner un peu de leur amour. Il aurait aussi bien pu écrire une liste de courses ou recopier l’annuaire, l’effet aurait été le même.
Même ici l’ambiance était conforme à l’écrit. Le paysage bien lisse, avec ses jolies petites collines toutes rondes, bien vertes, pas un souffle d’air, rien ne bouge. Les petites maisons sont bien blanches, enfouies dans de petits vallons. Tout est lisse, calme, presque trop. Un peu comme un avant-goût d’une petite mort.
La lettre a égrainé tous les poncifs de la correspondance bourgeoise de non aloi. Il n’y a rien, aucun sentiment, aucune émotion, rien qui puisse troubler qui que ce soit. Elle ne soupire même pas, juste un léger dédain marque son visage, à moins que ce soit une indifférence polie, oui peut-être plus cela. Pas d’invitation scandaleuse, aucune découverte, aucun  paysage tourmenté, le calme plat. Tout est plat, désespérément plat. Les mots de la lettre s’effacent, comme s’ils avaient été écrits à l’encre sympathique, l’encre devient plus claire et chaque lettre se délite quelque part. Est-ce à l’intérieur du papier qui l’absorbe, s’en nourrit ? Est-ce dans l’air ? Elles s’évanouissent sans laisser de trace, se transmutent en vapeur. De la vapeur d’encre uniquement, le souffle d’idée étant inexistant. Peu à peu la page devient blanche. Elle regarde les mots, pense qu’elle aussi prendrait bien le large. Prendre le large, quitter cet endroit. Pourquoi pas ? Mais pour faire quoi ! Le plat c’est immiscé dans son esprit, il est aussi plat que le paysage, la lettre. Elle cherche, ce qui mettrait de la vie dans cet univers trop lisse ? Elle ne sait pas, elle attend, et puis c’est bientôt l’heure du thé et des visites, la voisine, peut-être sa cousine. Les dernières nouvelles, la lingère qui a changé de lessive, la peau qui gratte, les vertus des produits machins, le personnel qui fait ce qu’il veut, la cuisinière qui ne fait pas les petits fours,… que sais-je ? Les petits fours sont-ils plats ?
Lui là-bas, que fait-il ? Elle avait espéré un peu d’aventure, un peu de piquant, une légère envolée dans sa platitude. Il était bel homme, sans doute, mais finalement trop poli, trop bien élevé, homme idéal, mais marié ! Donc retour express à sa banalité, et puis sa femme elle l’avait vu, repas avec les voisins et les vacanciers (lui et elle : les vacanciers), une visite au musée, un cardigan oublié, lui qui était revenu. Et puis il était parti en vacances, en vacances de son épouse, quelques moments en passant, en marchant, parce que la marche tôt le matin c’est un bon exercice pour un gentleman, surtout sans sa femme et dans le lit d’une autre. De petites heures grappillées, un peu de vagues, sans turbulence.
Et puis la lettre, tout en bas, une toute petite phrase, l’année prochaine ils iront en Italie pour les vacances.