AlgoZimage du 21 juillet 2023

BARBE BLEUE

Je suis la treizième femme de Barbe-Bleue. Certains pensent que ce chiffre porte-bonheur, d’autres qu’il porte malheur. Pour ce qui est de moi, mon destin est déjà fixé, mais pour lui ?
J’ai été désignée l’année dernière, par le Conseil du Village, notre seigneur, que nous nommons tous Barbe-Bleue en raison de la couleur de son poils, exige chaque année une nouvelle épouse, mais personne ne sait ce qu’il advient de l’ancienne.
Et chaque année, à la même époque, nous voyons les maîtres verriers arriver, et un nouveau mariage est célébré. Les verriers investissent la cour et la grande tour, personne ne sait ce qui se passe alors, je n’ai pas le droit de sortir de ma chambre, ni de regarder par la fenêtre. Mais ce soir je vais aller voir ! Je veux savoir ce qui m’attend, ce qui se passe dans la tour. Je ne crains pas la colère de mon époux, puisque demain je serais sans doute morte et mise dans un cercueil de verre, qui à faire autant prendre de l’avance, je mourrais moins idiote ! Je braverais l’interdit et je m’en moque, demain est mon dernier jour !
Minuit, tout le monde dort dans le château. Je m’habille avec les vêtements volés à une fille de cuisine, une cruche en main, je suis devenue servante donc invisible. Mon époux dort, assommé par le vin auquel j’ai ajouté une poudre somnifère. Je prends les clefs dans le tiroir de sa table, j’ouvre la porte de la chambre, me glisse dans le couloir. Le couloir, les escaliers, le grand hall, ça y est je suis dehors. Je traverse la cour, rien ne m’arrête. J’arrive prêt de la lourde porte de la tour. Je tâtonne un peu pour trouver la bonne clef, j’ouvre enfin. Devant moi un escalier qui monte presque jusqu’au sommet, je grimpe. Une nouvelle porte, une nouvelle clef, j’ouvre.
Dans la pénombre de la salle, juste éclairée par les rayons de lune, elles sont là, les douze épouses ! Enfermées, chacune dans une cage de verre. Toutes sont mises en scène, au milieu de plantes de fleurs, d’objets. Comme si des portraits avaient été réalisés. Elles ont le regard fixe, leur peau est étrangement pâle, et sont vêtues de robe diaphane. Je passe de l’une à l’autre, je ne sais si je dois pleurer mais je suis horrifiée. Voici donc ce qui m’attend. Dans un coin je trouve ma cage.
J’en rage, la colère me prend, j’avise un bâton laissé là contre le mur, m’en saisi et frappe sur la demeure qui doit être la mienne dans quelques heures. Le verre éclate, tombe à grand bruit, je ne l’entends pas arriver. Puis d’un coup il est face à moi.
Nous nous regardons immobiles, puis il fonce sur moi en hurlant. Un cri de bête, qui vient du profond de son être. Je me décale légèrement. Le cri se mue en hurlement de peur, il vient de passer par la seule fenêtre de la pièce, un bruit sourd de choc sur le sol. Un autre bruit, comme un grincement des portes qui s’ouvrent, des femmes qui me regardent hébétées. J’ai vaincue la malédiction, j’ai tué Barbe-Bleue.
Je suis la treizième épouse, et finalement je porte bonheur !