Y avait-t-il meilleure occupation pour une après-midi pluvieuse et sans amis que de fouiner dans un grenier ? L’aventure y est à portée de main, dans chaque valise attend un monde à révéler. Cette boîte-ci était ronde, à n’en pas douter une boîte à chapeaux ! Camille avant même de l’ouvrir savourait par avance son prochain déguisement, sa découverte portait-elle des plumes, ou bien irait-elle avec la robe en dentelle écrue extirpée de la vieille malle ? Déception intense, pas de chapeau, aucun bibi, pas même un béret ! Mais emballés dans du papier de soie, dix cahiers identiques et assez épais à la couverture rigide, quasiment des livres, sauf que leurs pages étaient couvertes d’une écriture fine et serrée, d’une encre presque noire et encore un peu bleue, sans ratures ni taches. La jeune fille, un peu déçue mais passablement intriguée car curieuse de nature, feuilleta les objets, lisant de-ci de-là quelques phrases. On y parlait de création de mode et de commerce, de la difficulté à se faire une bonne clientèle, de l’évolution des modèles. Le dixième volume était inachevé, pensa-t-elle, puisqu’il s’arrêtait aux deux tiers du cahier. La dernière feuille écrite, datée du vendredi 28 décembre 1900, fit pénétrer dans le petit grenier une bourrasque glacée :
“Ce siècle s’achève et avec lui l’ultime page de mon histoire. J’ai aimé passionnément ce métier et il m’a rendu longtemps heureux. Participer par mes créations à magnifier les tenues des plus belles femmes de la ville. Attirer les yeux vers une voilette de fine dentelle pour donner l’envie d’y découvrir la douceur d’un regard, d’un sourire.
Mais le plus beau des visages m’a rendu aveugle. Je n’ai pas décelé la perversité dans ses yeux, peut-être était-ce seulement de l’égoïsme de sa part… Quoi qu’il en soit comme un insecte pris dans une toile je n’ai pas vu à temps où cela m’entrainait. Aujourd’hui j’abandonne, trop de rancœur, trop de douleur. Je ne franchirai pas le seuil du XXème siècle. Chapeau bas, madame, vous m’avez vaincu !”
Arf ! Difficile de ne pas vous demander de “Qui” il s’agit ?
(Votre texte est sublime)
(Guillaume)
Révérence, Madame !
Parfois en remontant le temps (celui de la plate-forme et aussi l’autre) on tombe sur des perles oubliées. merci Angelune.