Toute ressemblance avec la Véritable Histoire serait une pure et heureuse coïncidence
Il y avait très, très longtemps
Il y avait très, très longtemps, dans une contrée paisible, vivaient des hommes très heureux. Un beau jour (le soleil, après cent jours de pluie, brillait ce jour-là), un beau jour, disais-je, l’un d’eux se mit à observer les singes qui s’élançaient de liane en liane et grimpaient au plus haut des arbres, dans la canopée, pour déguster des fruits juteux en lançant des cris de joie et en se léchant les babines avec délectation. Et il pensa. Puis, il se mit à dessiner fébrilement un drôle d’engin sur les rochers. Il venait d’inventer l’échelle. Quelques tronc d’arbres et un peu d’ingéniosité suffirent. Les plus beaux fruits étaient à la portée de tous. Ils cueillirent la juste mesure, celle-là même que leur avaient enseignée les anciens.
Grisé par son succès, encensé par sa communauté, il décida de poursuivre ses recherches pour améliorer le sort des siens et les emmener toujours plus haut dans le pays des rêves, jusqu’à frôler le ciel. Il observa les oiseaux. Et il pensa. Il prit son morceau de roche tendre et colorée et dessina un drôle d’engin avec des ailes, ce qui amusa beaucoup les enfants. Une nuit, il rêva qu’il avait fait un merveilleux voyage sur la lune. Et il pensa. Il se mit à dessiner…mais hésita sur la forme… il aurait bien voulu pouvoir y mettre de la couleur.. Et le tracé resta à l’état d’ébauche.
Les hommes continuèrent de vivre, simplement, en remerciant le soleil et les étoiles. Et notre inventeur poursuivit son œuvre picturale à l’aide de charbon de bois et de terre d’ocre. Un drame allait interrompre ses travaux…
Ce n’est que bien plus tard, après qu’une météorite eût décimé cette paisible population, qu’un promeneur, passant dans la région, fit tomber une pièce d’or qui disparut dans une cavité. Il se mit à creuser tant et tant qu’il put ramper jusqu’à atteindre une immense cavité dont les murs étaient ornés de dessins d’engins qui frappèrent son imagination. Il ne retrouva pas sa pièce mais peu lui importait. Il venait de comprendre l’enjeu d’une telle découverte.
Ce promeneur, très riche, (on peut être riche et goûter aux plaisirs bucoliques dans une campagne verdoyante), mit son plan à exécution, fit bâtir des usines, embaucha des dessinateurs pour mettre aux cotes les dessins et des créateurs pour finaliser formes et couleurs et donner un nom aux engins. Le premier dessin avec des ailes fut judicieusement nommé – avion -, en référence aux oiseaux. Très vite, les premiers spécimens sortirent des usines.
Les hommes heureux, d’il y avait très, très longtemps, n’auraient pas voulu voir le massacre de leur terre qu’ils avaient soigneusement préservée. Elle était, maintenant, défoncée, griffée, blessée jusque dans ses pauvres entrailles, dans le seul but d’alimenter les usines en matières premières pour fabriquer des avions que seuls, dans un premier temps, quelques privilégiés pourraient emprunter.
L’ancien promeneur continuait de s’enrichir, ses usines de s’agrandir et les avions de zébrer le ciel nauséeux, fatigué par tant de désordres et de turbulences. Il ne rêvait plus : il calculait. Et d’autres hommes riches l’imitèrent dans une course effrénée, à qui ferait preuve de sa toute puissance. Aller toujours plus loin ! toujours plus haut ! ‘’Et pourquoi pas la lune ?’’ disaient certains sceptiques, qualifiés de rétrogrades par les autres.
Et la terre se tourmentait et souffrait. Elle se ridait et s’étiolait au point d’oublier d’être généreuse. Aucune importance ! on trouvait tout à profusion. Des montagnes de fruits arrivaient par avion. On ne cueillait plus, on consommait !
La terre, elle, se consumait. Et comme personne ne l’entendait, elle se mit à hurler, à se débattre, à se mettre en colère de ne plus être celle d’il y avait très, très longtemps, lorsqu’elle était belle et respectée.
Et les hommes commencèrent à avoir peur…
Lorsque les singes avaient vu les hommes d’il y a très, très longtemps grimper aux arbres et cueillir leurs fruits, ils tentèrent de les chasser. Ils se firent méchants et montrèrent leurs dangereuses dents. Très vite, ils s’aperçurent que ces hommes étaient doux, qu’ils n’emportaient que ce dont ils avaient besoin. Il leur restait bien assez de fruits pour se régaler. Une entente se noua entre eux. L’artiste n’eut pas besoin de dessiner, sur la paroi rocheuse, des engins pour se défendre.
Mais le promeneur à la pièce d’or, effrayé par les sursauts colériques de la terre, craignit soudain pour sa propre vie. Il imagina alors des objets qu’il nomma – armes – . Des engins diaboliques, capables de cracher le feu, sortirent de ses usines. Mais les armes furent bien inutiles à l’homme pour faire cesser les colères de la terre. Impuissant, il lui fallait un ennemi, un coupable. Il s’en prit alors à lui-même. Il inventa la guerre.
Et les singes ricanèrent.
Génial ! Bravo.