On lui avait pourtant toujours dit qu’il était mauvais de manger juste avant d’aller dormir… Surtout s’il s’agissait de sucre. Mais sa gourmandise légendaire l’avait emporté sur la raison et le Khajiit avait englouti un pot entier de crème de Ternt… A peine avait-il terminé sa dernière cuillère qu’il avait senti son estomac se torsionner dans tous les sens. Très clairement, il allait passer une très mauvaise nuit… Jamais il ne se serait attendu à quelque chose de tel.
         Il lui semblait qu’il n’avait fermé les yeux que depuis quelques secondes à peine. Bien qu’il lui aurait été difficile de l’affirmer avec certitude… Toujours est-il qu’il se retrouvait sur un large chemin traversant un paysage coloré et vallonné qui s’étendait à perte de vue. Au loin, sur la ligne d’horizon, brillait un immense soleil en forme de Rondelle d’orange gélifiée. Ses rayons qui tournaient lentement ressemblaient à des Frites acides. Le ciel d’un Bleu framboise, portait des nuages aussi cotonneux que de la Barbe à papa. La prairie qui l’entourait lui donnait l’impression d’un immense champ de Dragibus verts. De chaque côté, des rangées d’arbres dansaient en ondulant lascivement sur leurs troncs. En observant leurs feuilles, il constata qu’elles étaient faites en rouleaux de Réglisse de couleurs différentes. Dans certains, des Pommes d’amour ou des Anneaux pêche poussaient. En regardant mieux, il se rendit compte que le chemin lui-même était composé de Cookies et d’Oreos émiettés.
         Bordant la route, des fleurs aux corps en Twizzlers à la fraise ou la cerise, le regardaient de leurs grands yeux de Dragées. Les pétales qui composaient leurs têtes suivaient ses mouvements quand il se décida à marcher. Il eut aussitôt l’impression de déambuler sur une sphère. Le sentier se tordait sous ses pas, comme une énorme boule de Chewing-gum. Il ne comprenait pas où il était, ni ce qu’il y faisait exactement mais il était certain que son litre de crème glacée devait y être pour quelque chose.
Il arriva à une intersection et un premier choix s’offrit à lui. Tout droit, à gauche ou à droite. Il n’eut même pas le temps de réfléchir que ses pieds décidèrent de prendre le virage à gauche. Toujours encadré par ces mêmes arbres en rouleaux de Réglisse, son estomac gargouilla bruyamment et lui fit comprendre que tout ce sucre lui donnait faim. Il s’arrêta, traversa la pelouse en Dragibus et saisit un Anneau pêche qui était à portée de main.
         Au moment où, salivant d’envie, il allait croquer dedans, des yeux et un nez poussèrent sur la sucrerie, tandis que des dents entourèrent le trou central. Le bonbon venait de prendre vie et chantait à présent :

« Lollipop lollipop
Oh lolli lolli lolli, lollipop, lollipop
Oh lolli lolli lolli, lollipop, lollipop
Oh lolli lolli lolli, lollipop

Lollipop lollipop
Oh lolli lolli lolli, lollipop, lollipop
Oh lolli lolli lolli, lollipop, lollipop
Oh lolli lolli lolli, lollipop

Call my baby lollipop
Tell you why
His kiss is sweeter than an apple pie
And when he does his shaky rockin’ dance
Man, I haven’t got a chance »

         De surprise, le Khajiit lâcha l’aliment et décida qu’il serait plus prudent de ne rien manger tant qu’il serait là. L’anneau continuait de pousser la chanson alors que le chat s’éloignait, se frottant les mains sur sa tunique pour faire tomber les cristaux de sucre qu’il avait encore collés dans les poils.
         — Quel curieux endroit ! s’étonna-t-il à haute voix. Si seulement Maître Astrid pouvait voir ça… Je suis sûr qu’elle en serait fascinée !
         Âgé de seulement 80 printemps – ce qui correspondait à environ 16 ans pour sa race – il était encore un peu naïf. Au grand damne, d’ailleurs, de son mentor, Astrid la mixologue. Il n’était pas tous les jours facile d’avoir un élève tel que lui… C’est probablement la raison pour laquelle le jeune félin au pelage beige moucheté de taches noires n’avait pas tout de suite remarqué qu’il reconnaissait tout ce qui composait son décor alors qu’il n’avait en réalité pas la moindre idée de ce que pouvait être un Dragibus vert ou encore des Twizzlers à la cerise… Il ne comprit pas immédiatement que tout ce qu’il voyait provenait d’un autre monde que le sien…
         Au détour d’un autre virage, il tomba truffe à nez avec un parchemin qui sautait sur un énorme Eclair au chocolat. Le fait que l’objet possède des pieds, des mains et mêmes des globes oculaires, n’étonna même pas l’apprenti mixologue. En revanche, ce qui le surprit et le subjugua un peu plus fut le fait que le morceau de papier chantonnait, lui aussi.

« Si tu dois aller quelque part,
Je te guiderais tu peux me croire.
Je suis la carte,
J’suis la carte, j’suis la carte.
Si tu veux trouver ton chemin,
Je peux t’aider écoute-moi bien.
Je suis la carte,
J’suis la carte, j’suis la carte… »

         Il tenta de s’en approcher mais la Carte, empoigna un bon gros morceau de Pâte à chou fourré et la lui envoya droit dessus. Il eut bien du mal à l’esquiver. Le projectile alla s’écraser juste derrière lui, emportant une famille de scarabées en Caramel dans une vague de Crème au chocolat. Ne s’attardant pas plus longtemps il pressa le pas et arriva devant un arbre plus grand et plus imposant que les autres. Sans trop savoir comment, il avait atteint le cœur de la prairie.
         Sur l’une des branches les plus hautes, il aperçut un oiseau qui – lui semblait-il – avait l’air plus grand et plus gros que lui, même de loin. Il plissa ses pupilles félines pour être sûr de bien le reconnaître… Au bout de quelques secondes, il n’eut plus aucun doute.
         — Encore toi ! lâcha-t-il tout haut, les dents serrées et battant de la queue.
         Ses oreilles se redressèrent aussitôt et ses poils s’hérissèrent à la vue de la grive musicienne qu’il avait déjà rencontrée des années plus tôt. Le volatile au plumage rappelant le pelage du félin, chantait, les pattes croisées se balançant dans le vide, tout en jouant de la guitare qu’il tenait entre ses ailes. Par moment, il sifflotait entre les paroles.

« Un éléphant qui se balançait…
Sur une toile, toile, toile… Toile d’araignée… Pi-ouit !
Il trouvait ça tellement, tellement amusant
Qu’il alla chercher un deuxième éléphant… Pi-ouit ! »

         Rien ne semblait pouvoir l’interrompre et il ne remarqua même pas qu’il avait un spectateur. L’oiseau poursuivit.

« […] Cinq éléphants qui se balançaient
Sur une toile, toile, toile… Toile d’araignée… Pi-ouit !
Ils trouvaient ça tellement, tellement amusant
Que tout à coup… Pi-ouit !
Badaboum ! »

         A peine avait-elle fini de gratter son instrument que la grive se laissa tomber dans le vide et qu’elle flotta dans les airs comme une plume portée par le vent, sans même avoir besoin de remuer ses ailes. Lorsqu’elle toucha le sol avec grâce, elle nota enfin la présence du Khajiit.
         — Eh bien mon chaton… Pi-ouit ! Voilà fort longtemps que je ne t’avais vu ! Comme tu as grandi dis-voir ! Allez, montre-moi !
         L’oiseau se mit à faire le tour du félin, lui soulevant les bras, lui ouvrant la mâchoire sans se soucier le moins du monde que le fauve puisse le croquer, s’il le voulait. Il passa le Khajiit au crible puis stoppa son auscultation et le regarda en souriant.
         — Bien grandi, en effet ! Pi-ouit !
         — Si tu me jettes encore un autre sort, je te promet de te… ! avertit l’autre.
         — Allons, allons ! C’est comme ça qu’on remercie son vieil ami Vicidius, l’enchanteur ? Hum ? Pi-ouit !
         — Je ne t’avais rien demandé ! grogna le chat humanoïde.
         — Mais tu n’avais pas besoin de le faire. Ta vie ne s’est-elle pas améliorée depuis que tu n’es plus un chaton perdu dans la forêt Enchantée d’Yzmir ? Hum ? Pi-ouit ! N’as-tu pas trouvé une famille et un but ? Pi-ouit !
         — Mais… Comment sais-tu tout ça ?! s’énerva le félidé.
         — Voyons… Tu ne peux rien cacher au grand Vicidius… Et puis… se risqua la grive. Hum… Pi-ouit ! Je ne sais pas si je dois te le dire ou non…
         L’enchanteur se caressa les plumes du menton, jaugeant son interlocuteur du regard.
         — Quoi ?! s’enquit ce dernier. Me dire quoi ?
         — Eh bien, puisque c’est demandé si gentiment… Nous sommes dans ta tête, alors… Indubitablement, je sais ce que TOI, tu sais… Yévys…
« Yévys… Yévys… Yévys !! »
         Son nom, que venait de prononcer Vicidius, résonna en échos dans l’esprit du chat. Il l’entendit encore et encore, même lorsque sa vision se troubla et qu’il ne vit plus qu’un épais voile noir s’abattre sur lui.
         — Yévys ! Yévys !! Rooooh mais tu vas te réveiller à la fin, espèce de feignasse inutile ?!
         Lorsqu’il émergea, en sursaut de son rêve glucidique, l’adolescent bafouillait des paroles qu’Astrid ne connaissait pas.
         — Un éléphant qui se balançait… Sur une toile, toile, toile… Toile d’araignée…
         — Mais qu’est-ce que tu racontes ?! aboya l’inventeuse de potions. Combien de fois t’ai-je rabâché de ne pas foutre ton museau dans ce truc ?!
         Déboussolé et secouant la tête dans tous les sens, Yévys se rendit compte qu’il avait la truffe recouverte d’une crème jaunâtre et qu’il était allongé sur les innombrables coussins du sedari de la partie salon de la khaïma d’Astrid. Le gourmand tenait entre les mains ce qu’il avait pris pour de la crème glacée ordinaire et qui était, en réalité, un puissant hallucinogène à base de lézards jaunes de Ternt. Son maître la gardait bien au frais par nécessité, car vivant en plein milieu du désert d’Ogor, la crème se dégradait rapidement sous l’effet de la chaleur…
         — Le pot entier !! Mais t’es complètement fou, ma parole ! hurla Astrid. Tu sais combien je vends ça ?!
         La femme était exaspérée par le peu de discernement de son apprenti. Mais au fond, c’est qu’elle l’aimait bien, aussi… Elle s’inquiétait pour lui. A sa manière, particulière…
         — Et tu aurais pu y rester, en plus ! Pour la peine, c’est toi qui iras chercher d’autres lézards…
         Elle s’éloigna, pestant toujours pour elle-même, secouant ses trois bras au-dessus de sa tête aux reflets argentés.
         — Et par pitié, nettoie-moi ce carnage !!
         Durant son sommeil psychotique, l’estomac de Yévys avait bel et bien fait des siennes… Se réveillant encore avec beaucoup de mal, il s’empourpra. Il se souviendrait longtemps de sa gourmandise nocturne.

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