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27 février 1919,

 

Fernand était mourant. Il avait été appelé pour donner les derniers sacrements. À peine plus d’un an qu’il était revenu de la guerre, le Fernand, quel gâchis.

Quand il avait débarqué sur la place du village, tous s’étaient réjouis de le voir sur ses deux pieds. Le Raymond était rentré juste avant, mais avec une seule jambe et son fils Roger avait rejoint la cohorte des « gueules cassées ».

 

Il était passé pour un chanceux, le Fernand. Certains le soupçonnaient d’avoir fait partie des planqués. Leur méfiance fut rapidement anéantie.

Quelques semaines après son retour, une toux sévère lui arrachait la gorge, de plus en plus souvent. Peut être avait il échappé à une exposition directe des gaz, mais ses poumons le rappelait à la réalité de cette ignoble guerre.

 

Le père Hugo marchait vite. Les cailloux blancs roulaient sous ses brodequins au risque de l’entrainer dans une chute dangereuse. Il n’avait cure, il voulait mettre le plus de distance possible entre cette maison maudite et lui, au plus vite.

En arrivant sur la place du village, le curé commença par se rafraichir à l’eau de la fontaine. Une fois qu’il eut repris ses esprits, il effectua le tour du bassin.

Il cherchait à déceler une pierre mal alignée ou manquante. La peur lui nouait l’estomac. La sueur coulait de nouveau de son front et lui brulait les yeux.

 

Il ne parvenait pas à croire que Fernand eut le loisir d’apprendre à écrire dans les tranches de la Somme. Surement l’avait-il fait rédiger par un plus malin que lui. Quoiqu’il en soit, il devait s’en assurer. Appuyé sur le rebord du bassin, il revivait la scène de la fin de l’après-midi, au chevet du malheureux.

Tout à l’heure, incliné vers le pauvre garçon, celui-ci l’avait attrapé par le bras afin de murmurer à son oreille. Dans un chuchotement, le moribond avait eu le temps de lui souffler :

— J’ai écrit une lettre qui raconte toutes les horreurs que vous nous avez fait subir lorsque nous étions enfants. L’eau fraîche garde le secret… pour le moment.

 

Le curé faillit crier sa joie en repérant une pierre bancale qui ne demandait qu’à tomber. Il s’en empara pour découvrir une cavité… vide.

Le vieux prêtre commençait à croire à une mauvaise blague du mourant lorsqu’il perçut une voix nasillarde derrière lui.

 

Se tournant, il vit le visage ravagé de Roger. Le garçon le fixait du seul œil qui lui restait, un filet de bave au bord des lèvres. Il brandissait un morceau de papier jauni et dit :

— Est-ce cela que vous cherchez, mon père ?

L’enfer de la guerre nous parut presque doux en comparaison de l’enfance que vous nous avez fait subir. Cette simple lettre est un passeport pour le diable, mais votre purgatoire va commencer ici.

 

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