Gratter c’est gagner !

Dans ce petit village provençal de Le Tannos que, bien entendu, personne ne connaît, vivait Germaine, un petit bout de femme sèche et ombrageuse, avec Rip le chien de garde – on ne sait jamais, avec tout ce qu’on entend… il vaut mieux se protéger ! – et quatre chats dont le seul rôle était de chasser les rongeurs et qui se reproduisaient allègrement sans se soucier d’une surpopulation responsable d’un déséquilibre budgétaire de la maisonnée. Germaine éradiquait régulièrement la descendance en la noyant dans le bassin, sans état d’âme.
Avec une régularité de chef de gare, Germaine avait l’habitude de sortir le chien à 8h15 précises, quel que soit le temps ou un besoin plus pressant de l’animal. Elle avait ainsi l’assurance à cette heure-ci de ne pas rencontrer son voisin parti entre 7h et 7h30. Ils ne s’aimaient pas beaucoup ces deux-là… – moins je le vois, mieux je me porte – qu’elle marmonnait au toutou qui n’en n’avait rien à faire, pourvu qu’il ait ses sorties et sa gamelle remplie par sa maîtresse râleuse.
Mais un matin, Le givre avait saupoudré le village et finement frangé de dentelles la végétation. Un vent mordant avait soufflé toute la nuit. Le temps avait chamboulé la chronologie bien réglée et mis en péril les relations instables de voisinage. Elle faillit rebrousser chemin, en tirant la laisse, lorsqu’elle vit Robert, le teint congestionné, en train de racler nerveusement son pare-brise, mais le chien refusa catégoriquement son invitation. Il lui fallut alors dire un petit quelque chose… une petite mais brève marque d’intérêt, du bout des lèvres :
– alors, Robert, pas encore parti ?ça gratte ?
– oui, ça gratte fort aujourd’hui ! Mais c’est pas tout ça, je vais être en retard et le tôlier va râler !
Germaine repris rapidement son chemin. Elle allait faire son loto au café bar tabac épicerie dépôt de pain La Cigale où le chien retrouvait avec plaisir la mine joviale des consommateurs.
– alors Madame Germaine, elle vient faire son petit loto ?
– mmm… mais donnez-moi aussi un assortiment de ces jeux. J’ai comme une envie de gratter.
Rentrée chez elle au chaud, elle prit une petite pièce jaune et gratta soigneusement les cartons, une lueur d’espoir dans les yeux et un certain sourire. Trois étaient déjà gagnants, oh ! de petites sommes par rapport aux promesses de son jeu habituel, certes, mais… elle était contente notre Germaine ! Elle se mit à gratter plus fort, en experte, mais la chance avait tourné. Demain peut-être…
Et c’est ainsi que, grâce au vent mordant de la nuit, au givre, au pare-brise de la voiture et au retard de son voisin de palier, Germaine délaissa son loto pour s’adonner au grattage, été comme hiver.

 

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