J’ai bien pensé une seconde à me mettre au coin pour me calmer quand j’ai réalisé que cette phrase ne me lâchait pas : « J’ai besoin de moi ». Ce n’est pas une déclaration d’amour, mais une évidence, là, ce soir. Alors que j’étais prête à lire un petit roman français au lit, que je tournais les premières pages, fermement décidée à me plonger dans une lecture passionnée, je me suis aperçue qu’en fin de compte, je n’avais aucune envie de m’intéresser à la vie de quelqu’un d’autre. Oui, parce que ce roman raconte l’histoire d’un idéaliste qui dessine sur les plages et grave les rochers de messages personnels adressés à la Création…

 

J’ai lu quelques lignes, puis je me suis dit que, non, vraiment, je n’avais pas envie de lire son témoignage. Aussi étonnant semble-t-il être, je n’en ais pas envie. C’est limite barbant. Je me suis demandée pourquoi. Je me suis répondue : « Parce que j’ai besoin de m’intéresser à moi. »

 

Et là, une phrase évidente : « J’ai besoin de moi. » Ça m’a fait sourire. Je l’ai répétée à haute voix plusieurs fois. Ça m’a bien fait rire. Ça m’a détendue. Ça m’a fait culpabiliser un chouïa. Ça m’a fait déculpabiliser. Ça m’a carrément fait marrer !

 

Et hop, je suis sortie du lit d’un bond pour prendre mon ordinateur et écrire.

 

Parce que dans ce « j’ai besoin de moi », il y a « j’ai besoin d’écrire sur moi ». Sans doute pour me comprendre encore plus. C’est évident. Là où j’en suis dans ma vie, c’est limpide.

 

Donc : « J’ai besoin de moi. » J’en suis là, curieuse de comprendre pourquoi.

 

J’ai besoin d’être avec moi-même, de me rencontrer, de me connaître mieux parce que je ne me suis pas fréquentée beaucoup pendant mes trente dernières années. Ni même depuis ma naissance, sans doute, comme tant d’autres… C’est la première fois que je vis seule, sans la perspective de recevoir un amant ou de m’occuper de mon enfant. L’amant n’est plus là, plus d’amoureux. L’enfant vit loin, amour inconditionnel. Et en fait, c’est très bon. Bonne surprise !

 

C’est la première fois que je me sens, non pas forcément libre de faire ce que je veux, car là n’est pas la question – je ne me suis jamais sentie complètement prisonnière. Mais légère de ne pas avoir à faire quelque chose pour quelqu’un.

 

Je vivais auparavant avec un musicien qui avait ses exigences : il lui fallait un certain type de musique douce au réveil ; en permanence, une table, remplie de partitions superposées en vrac qui l’inspiraient ; des encens particuliers vers la fin d’après-midi, le moment de la journée le plus compliqué pour lui ; et le soir, il veillait tard en jouant sans se préoccuper d’un éventuel besoin de silence que j’aurais pu avoir. Au milieu de tout cela, comme il était Artiste (la capitale venait de lui), j’endossais le rôle pratique. Same old storie

 

À l’époque de nos amours et de mes sacrifices inutiles, j’imaginais que si je vivais seule un jour, cela me poserait un manque, une douleur, un vide. Mais pas du tout, pas du tout. Je me sens juste bien, tranquille, parfois joyeuse. Je me mets à rire toute seule et à danser. J’émets des sons d’allégresse, assez bizarres, qui me font rire moi-même. Je me parle à voix basse ou à voix haute. Je me regarde dans la glace et je me fais des clins d’œil. Je m’amuse bien avec moi-même. Je me fais des blagues. Je me recadre si nécessaire. Et rarement, je me rends triste. Je m’encourage aussi bien sûr. Car je suis fermement déterminée à ne plus me laisser embêter ni dépasser par une situation.

 

C’est pourtant le soir au coucher ou le matin au réveil qu’une petite pointe de culpabilité vient s’immiscer. La culpabilité matricielle de se sentir parfaitement bien seule. Je n’ai pas été éduquée comme ça par mes parents et la société ne m’a pas poussée non plus à me sentir entièrement indépendante. Une putain de petite pointe de culpabilité que j’apprends à désintégrer d’une pensée légère. Pffuiitt ! Désintégrée, poussière, néant… C’est avec une grande satisfaction que je la désintègre en une fraction de seconde. Elle revient et je recommence. Une vraie petite fée en action avec sa baguette magique ! Ce petit spectacle peut durer quelques minutes, mais au fil de jours, cela dure de moins en moins longtemps. C’est bingo !

 

Je suis contente d’être avec moi-même. Oui, et je ressens que j’ai vraiment besoin de « m’attentionner » plus, de me parler plus, de me choyer plus, de me choisir plus. J’ai besoin de me faire plaisir à moi-même à ma façon et quand j’en ai envie. C’est comme si j’étais devenue ma très très bonne amie. Je m’entendais déjà bien avec moi-même, mais là, je ressens que je « dois » vraiment me ressentir et faire ressortir ma propre ma présence. Ma présence est-elle mon âme ? Est-ce l’émergence de mon âme que je discerne ? Est-ce mon âme qui me conseille d’être plus attentive à ce que je ressens ? À ce que j’aime ou non ? À ce dont j’ai envie ?

 

Est-ce en moi la force de vie universelle qui me dit de me réveiller enfin à moi-même ? De me révéler enfin complètement à moi-même ? De ne penser qu’à cela, au moins une fois dans ma vie, dans cette vie-là ? Pourquoi suis-je venue sur la planète maintenant ? Que dois-je profondément comprendre et apprendre ? Je n’ai plus la lourdeur de ces questions en moi maintenant. C’est devenu une curiosité légère depuis que je vis seule. Je ne sais pas par quel effet miraculeux, mais c’est ainsi.

 

Je pense que je suis en train de résoudre certaines questions existentielles par bribes. Et aussi d’intégrer de plus en plus de choses depuis que je vis seule. Cette intégration de ressentis et de connaissances me fait beaucoup de bien et me met en joie. C’est sans doute pour cela aussi que je suis paisible. Car, en fin de compte, je ne suis pas seule. Je suis avec des mots qui m’apprennent tant de choses, qui m’ouvrent tant de portes. Des mots écrits, des mots écoutés, des mots pensés… et ceux qui flottent dans les airs dont je ne suis pas consciente… et personne n’est là pour m’empêcher de profiter de ces mots. Je n’ai plus à m’interrompre pour qui que ce soit, sauf pour moi.

 

Moi apprends, Moi s’émerveille, et comme je vis avec Moi, j’en profite allègrement. C’est très bon. Je suis contente de me manquer un peu aussi. Car si je me rends compte que j’ai besoin de moi, alors je vais tout faire pour venir à moi de plus en plus souvent, de mieux en mieux et avec de plus en plus d’enthousiasme. Et comme j’aurais bien pris soin de moi, je serai de plus en plus paisible et plus souvent dans l’enthousiasme.

 

Enthousiasme… (« inspiré par les dieux »), un de mes mots préférés qui sera ce soir mon marchand de sable. Ce sont sans doute les dieux qui m’ont mise sur ma propre voie de retrouvailles – il eut été dommage de perdre une vie à m’ignorer -, je les en remercie et leur souhaite bonnes nuits…

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