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Je suis né sur une table à dessin et la première chose dont je me souviens, ce sont les sourcils froncés de mon géniteur. J’ai senti la pointe d’un crayon qui creusait des sillons dans ma blancheur immaculée. J’étais lisse, mes contours étaient nets et droits. Il a commencé à tracer des lignes qui d’après mon ressenti ressemblaient à des carrés et des rectangles. Il ne les fermait jamais, c’était des ouvertures disait- il. Tout allait bien. La mine se déplaçait doucement, glissait sur moi, à peine appuyée et avec rapidité. Un jour le téléphone a sonné et la conversation a duré plusieurs minutes. La voix de mon géniteur était calme et posée jusqu’à ce qu’il raccroche sur un :

-« il faudrait savoir ce qu’ils veulent »

Et là j’ai senti un frottement appuyé et désagréable qui insistait sur certains endroits. Puis de nouveau, des lignes et des cadres.

Quelques jours plus tard, après un court voyage enfermé dans un cartable, je me suis retrouvé sur une autre table où deux nouvelles têtes planaient au dessus de moi. J’ai appris que je m’appelais Plan et ils ont beaucoup discuté de ce qui était bien, voire même parfait mais aussi d’autres choses qui n’allaient pas du tout. Je me suis dit que j’allais encore avoir droit à de grands coups de gomme bien appuyés. Et bien bingo, cela n’a pas loupé. Tout au long de ma croissance, j’ai été trimballé d’un endroit à un autre jusqu’à ce que mes parents adoptifs déposent leur signature en bas à droite. Et puis : silence complet, noir absolu pendant de longues années.

Je ne sais pas combien d’années se sont écoulées mais elles ont laissé leurs traces sur mon papier. Même bien déplié, à plat sur cette table, avec les regards intéressés et bienveillants de jeunes gens au dessus moi, j’ai la marque des plis. A certains endroits je ne suis pas loin de la rupture. Mes coins sont écornés et je suis devenu grisâtre à certains endroits, un peu jaune à d’autres. Ils ont l’air heureux ces petits jeunes qui viennent d’apposer leur signature à coté de la précédente. Ils disent qu’ils vont être bien avec moi et que je suis suffisamment grand pour accueillir les enfants. Au moins cela va me changer des vieux grincheux d’avant et peut être que du fond du tiroir des rires d’enfants enchanteront mes vieux jours.

Dans tous les cas, je préfère le fond d’un tiroir et les rires d’enfants à l’oubli pour une durée indéterminée dans un nuage qui étouffe les bruits et les paroles. C’est malheureusement le cas de mes descendants, tous ces petits PAO (Plans Par Ordinateur Assisté) qui voient le jour puis sont très vite relégués après signature électronique dans le fin fond d’un Cloud

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