• 11 mois 
  • 3Minutes de lecture env.
  • 156Lectures récentes
10
(2)

Il ne lui restait plus qu’à finaliser le contrat en apposant sa signature . Le stylo l’attendait, là, sur le bureau mal chauffé du notaire qui, derrière ses petites lunettes rondes et rétrogrades, le scrutait, guettant l’hésitation qui pouvait encore s’emparer de lui et le pousser à reposer le stylo qu’il venait de saisir pour réclamer un “temps de réflexion” . 

Et il signa . Il se sentit soudain soulagé du poids de l’indécision, et ressentit dans le même temps l’implacable dureté du mobilier  qui l’entourait  : le bureau du notaire  massif et seigneurial, les fauteuils confortables mais dont le moelleux ne permettait pas la moindre somnolence, la lumière crue que projetait la lampe de travail sur les feuilles infiniment rayées de noires considérations, à respecter à la lettre , et dont sa signature, petite et discrète parenthèse, ne parvenait pas à masquer l’austère sévérité .  Et le notaire enfin, derrière ses bésicles métalliques qui effaçaient de son visage toute possibilité d’empathie Il se sentit soudain étouffer, se leva précipitamment pour  sortir du bureau et prendre un l’air . Sa femme le regardait , indifférente, sous l’oeil attentif du notaire qui ne perdait rien de ce qui se jouait devant lui . 

Ils venaient des signer les termes de leur divorce . Il se devait de rembourser à sa femme une part non négligeable de sa fortune,  dilapidée au jeu . Il s’était résolu, par acte notarié, à recourir aux services d’un prêteur sur gages, qui exigeait d’être remboursé au terme d’une année . Si il n’en était pas capable, il perdait définitivement la garde de ses enfants , en plus d’autres sanctions pécuniaires qui lui importaient peu . 
La garde de ses enfants, l’équivalent d’une livre de chair ? Non, bien davantage , car aucune chance  de faire couler la moindre  goutte de sang ne viendrait contrecarrer la décision du juge aux affaires familiales .

Il ne perdit donc pas de temps pour tenter de récupérer les sommes qu’il avait perdues . Il emprunta et joua, joua et emprunta, et dans ce cercle vicieux qui lui apportait parfois des satisfactions aussitôt réinvesties, il trouva un plaisir qui lui fit oublier très vite l’enjeu de cette course aux gains aléatoire . 

Mais à  l’approche du Noël suivant, tandis que les frimas marquaient le paysage de leur empreinte glacée, il fut à nouveau convoqué dans le bureau du notaire à qui il était sensé rendre compte et rembourser la somme qu’il devait  .  Non seulement il en était incapable mais il s’était encore tellement endetté qu’il lui serait désormais impossible de rien rembourser de ce qu’il devait .

Nonobstant cette impossibilité, il fut ponctuel au rendez-vous . ” – Vous avez accepté, monsieur, les termes de cet arrangement, êtes-vous en mesure de rembourser votre femme  ? ” lui demanda le notaire . ” – Non, j’ai fait mon possible mais je n’ai pas eu de chance – La chance ? vous ne pouviez pas jouer à pile ou face la garde de vos enfants, ne pensez-vous pas ? – En effet, maître, mais je n’avais pas le choix , n’ayant d’autre talent que celui de jouer .”

De nouveau, il signa . On ne pouvait pas lui reprocher de ne pas assumer , à défaut de s’être montré plus responsable . 

Quelques jours après, on apprit, que non content d’être prélevé de la chair de sa chair  il avait taillé dans le vif , sur un saut en wingsuit , prêté par un ami . 

Et là encore, pas de chance : il avait perdu .

Moyenne obtenue : 10 / 10. Nombre de votes : 2

Soyez le-la premier-ère à exprimer votre ressenti !

Partager ?

2
0
L'auteur-trice aimerait avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x