Cinq ans frétillants de vie dans la chaleur de plomb d’un été méridional. La rue principale de Cordes avait été bien raide dans cette fournaise pour mes jambes de gamine maigrichonne.

Vint la fraîcheur ténébreuse des voûtes de la cathédrale albigeoise, halte bienfaisante sur les chaises empaillées, rêches à mes cuisses nues. Reflets irisés des rosaces au sol de lourdes dalles.

À quelques pas de là, La demeure, le palais où grandit un artiste au corps malmené par la maladie, à la vie aussi tourmentée que son âme.

Intimidée et hésitante, je franchis, derrière le couple parental, le seuil de mon premier musée.

M-U-S-É-E

Musée? Muse? Musarder?

M’amuser sans m’user?

Raideur guindée de l’accueil casquetté de bleu marine. Silence imposé, imposant. Hauteur vertigineuse des plafonds ancestraux surveillant jalousement les parquets lustrés, glissants et grinçants. Envie de courir, de patiner, pour les entendre crisser, siffler sous mes pieds.

Quelques visiteurs, méditatifs ou empesés, semblables à des statues devant les toiles exposées. Les cadres à eux-seuls valent d’etre contemplés!

Dehors, toujours, le soleil darde ses rayons sur la campagne assoupie, repue, gavée de lourdeur estivale.

Et puis il y a cette odeur. Odeur d’huile et de bois, de vernis, de propreté irréprochable mêlée de renfermé. Et de quoi?

Senteurs du passé… Qu’est-ce donc quand on a tout l’avenir devant soi sans même le savoir?

De salle en salle, de plus en plus “trop vite” à mon désir… Pas de portes, les embrasures sont béantes et pourtant une porte en moi s’est ouverte à jamais.

Je tente de freiner la feinte curiosité paternelle. Mes yeux myopes questionnent les portraits d’Henri de Toulouse-Lautrec. Toulouse? Oui, comme le chaton peintre des Aristochats, le lien est fait!

Henri enfant, qui ne ressemblait déjà plus à un enfant, tout juste à un humain selon ma conception débutante de l’espèce.

Toulouse adulte qui, toute sa vie, semblera enfant…

Chapeau melon ou haut-de-forme, canne à pommeau, membres atrophiés, clown tragique si terriblement doué.

Devant moi se déroule un univers étranger de liesse parisienne, de cabarets, de prostituées fatiguées.

Châtoiement des couleurs, vibration nerveuse des lignes épurées.

Du Moulin Rouge de la capitale aux prairies et ruisselet de mon pays natal, il y a bien trop de distance…

Mais les cadres! Les cadres! Fleurs de plâtre travaillé, entrelacs et volutes, laideur baroquement blanchâtre qu’une touche de bleu – ou d’orange pourquoi pas – viendrait peut-être égayer.

Mes parents pressent le pas. La journée n’est pas terminée. Ils parlent déjà de s’en aller alors que la grâce vient tout juste de me gagner.

Avant-dernière salle. Là, tout à gauche, il est là, vivant pour moi, prêt à jouer dans un joyeux ébat, sur son lit de papier aquarellé rehaussé de pastel blanc.

Bouboule!

Un “Bouboule-dogue” si hideusement affectueux qui ne demande qu’à être aimé. Je l’ai d’ores et déjà adopté, il me suivra hors du musée, c’est décidé. Je ne veux plus bouger. Nous sommes amis pour l’éternité.

Brusque rappel à la réalité:

“Claire, ça suffit, cette fois il faut y aller!”

NON!

De mauvaise grâce, je suis tout de même un peu apaisée par mon canin copain au format carte postale sur papier glacé glissé dans une enveloppe kraftée aux armes du musée.

Je traîne du pied et me retourne une ultime fois avant l’inexorable sortie. Mon regard croise celui de l’homme en cape bleue et écharpe rouge, imposant, insolant, Bruant…

Un bras paternel me happe vers l’extérieur flouté: “c’est la première et la dernière fois que nous t’emmenons dans un musée”.

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