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Vas-y, mets les gaz, bon sang, on va pas rester là à boire du gingembre. J’ai besoin d’alcool, et du bien tassé ! Fonce. Comment ça, où ?

À l’Algobar ! Je suis sûr qu’elle m’attend quelque part au fond de sa mémoire. Elle ne le dira à personne, pas même à elle-même, mais quand elle me verra, elle saura qu’elle m’attendait. Elle sera contente que j’y sois, en face d’elle, même pour quelques secondes seulement.

Je ne suis pas prétentieux. Je ressens. C’est pareil pour moi. Quelques secondes qui enveloppent. C’est tout et c’est beaucoup. Et je sais aussi que je vais la voir. Big secret.

Elle est belle, tu sais. Tu l’aurais préférée grande et fine ? T’as pas tout compris. Pas grave, tu as le temps. Elle a du caractère. Tu l’aurais préférée placide ? Sais pas quoi te dire. De toute façon, elle n’est ni pour toi ni pour moi.

Je la vois. Elle est là, à servir et essuyer le bar. C’est même elle qui l’a poncé et vernis, le plateau du bar ; elle en prend soin. Elle me fascine. Son déhanchement ? Non, ses yeux. Marrons qui virent au vert avec le soleil. Ses silences et sa joie. Sa discrétion et ses élans.

Fille de joie ? T’as toujours pas pigé, mon pote. Tu crois tout savoir, être le propriétaire de tout et de tout le monde. Tu as toujours de quoi dire. Poverino ! T’es proprio de ta grande gueule et de ta bagnole, et à part ça, tu vibres comment ?

Je te parle d’elle. Je vais arriver au bar, la saluer d’un regard, hocher la tête et boire mon triple whisky. Il y aura du monde, du bruit, de la brume de sueurs alcoolisées, des lumières tamisées. Elle saura et moi aussi.

Regards. Je lui glisserai une pièce sur le bar et elle ira au juxebox. Elle sélectionnera ce blues. Et nous saurons. Et elle mettra le son à fond, t’entends ? À fond pour que le claquement des cordes de la guitare électrique submerge l’espace, tout l’espace. Pour que tous les sens soient bouleversés, que tous les humains soient en arrêt et en pleurs de tant de clarté et de sentiment. This is my blues…

Et demain, elle répétera, sourire en coin, à son maître de musique poussiéreux, qu’elle a écouté du blues, du vrai : Midnight blues. C’est pas rien. Ça va l’énerver, le « maître ». Son classique mièvre a fait son temps, mais il reste opiniâtre ; il insiste ! Chacun son cœur, chacun son âme.

Ce blues nous reliera pendant au moins deux jours. Dans cette société solitaire, ça fait du bien, tu sais. Être ensemble dans l’espace…

Accélère, mon pote, j’ai hâte. Je veux me sentir en communion. Une fille, de l’alcool et du son. Je veux que chacune de mes cellules frémissent de vie. J’ai besoin de ça, comme ça. La tempête ne me suffit pas ce soir.

Roule plus vite, merci mon ami. Mets les gaz pour que je respire…

PS hors texte 

Pour ceux qui veulent écouter le morceau : https://www.youtube.com/watch?v=4DU4iaqsi_M

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