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“Tu crois m’épouvanter, vieille sorcière ! Mais tu ne peux me faire davantage rire qu’en me racontant tes fadaises  .” Voilà ce que pensait le  geôlier tandis qu’il refermait le judas, par lequel il s’était assuré que la  sorcière qu’on brûlerait le lendemain  était bien étendue sur sa paillasse . Qu’elle dorme ou pas, cela lui importait peu : elle pouvait bien ne pas dormir pendant des nuits, elle en crèverait et ce serait tant mieux, on en dépenserait moins de bois . Mais il importait qu’elle soit enfermée, que la menace qu’elle avait voulu lui faire gober ne soit qu’une farce, un de ces tours de passe-passe que  tous ceux qui se disaient investis d’un pouvoir surnaturel maitrisaient suffisamment pour y  faire croire . La crédulité n’était que le fait de quelques vieux fous superstitieux, auxquels notre geôlier n’appartenait pas . D’ailleurs, depuis le temps qu’il surveillait les prisonniers particuliers que lui envoyait l’épiscopat, s’il avait du faire partie de ce peuple naïf qui croit ce qu’on lui dit sans discuter et le cède à la peur plutôt qu’à la raison, il ne serait plus de ce monde, emporté qu’il eût été par quelque crise cardiaque . Il s’enorgueillissait de son esprit rationnel, lequel, il le sentait, le situait bien au-dessus des autres . Il s’enorgueillissait de ne jamais se tourner les pouces, de faire preuve d’un zèle irréprochable .

Responsable de son couloir, il avançait sans se hâter, faisait glisser la languette de métal qui servait de judas et s’assurait ainsi, chaque soir, après le dernier repas, que ses prisonniers se tenaient tranquilles .

Tout au bout, l’attendaient ses collègues , qui ne manquaient jamais de se moquer gentiment de lui : il était si respectueux du règlement, qu’il appliquait à la lettre, il cherchait tellement à plaire au propriétaire des lieux qu’en aucun cas il ne voulait décevoir ,il ne se laissait tellement pas influencer par les  habitudes de ses camarades , des habitudes d’ivrognes , boire,  lancer des blagues grivoises auxquelles ils riaient à gorge déployée mais qui le laissaient de glace  . La tournée l’obligeait à revenir dans ce local, d’ailleurs ils y dormaient à tour de rôle quand ils ne surveillaient pas .

Il entra, sans interrompre la discussion de ses collègues, et son oeil fut attiré par un fragment de verre coincé entre deux pavés du sol inégal  de leur local . Il se rappela, dans l’après-midi, l’arrivée précipitée de la sorcière : tour à tour elle geignait,  pleurait,  criait, dans une langue qui lui semblait de l’hébreu ,puis s’enfermait dans un mutisme de mauvais augure qui ne laissait rien présager de bon . Elle s’était adressée à lui , après être demeurée quelques minutes sous sa garde : ” Tu as une bonne tête, mon ami, libère-moi, tu feras une bonne action, je ne suis pas une sorcière, on m’accuse à tort, tout ça parce que j’ai guéri le châtelain avec des plantes,  mais que je n’ai pas voulu coucher avec lui !!!” Elle avait dit ces derniers mots à voix basse, une voix rauque, brisée par l’injustice du traitement qu’on lui faisait subir ? Peut-être , mais ce n’était pas son problème…” Ah !- elle avait craché par terre en disant cela- il me dégoûtait trop pour que je lui obéisse …. Alors il m’a traitée de sorcière et me voilà ici, mais toi, toi tu n’as pas l’air mauvais, libère-moi je  t’en prie !”

Mais il obéissait aux ordres . D’ailleurs si c’était une sorcière y valait mieux pas qu’il croise son regard alors il l’avait évité, son regard, il n’avait rien répondu . Folle de rage, elle l’avait alors agrippé par la manche de son uniforme et lui avait dit, avec un rire de gorge méchant et coupant comme une faux ” Je viendrai te tuer ce soir, je sortirai de ma cellule et je te tuerai…tu verras si un mur ou une porte blindée peuvent me retenir….à tout à l’heure mon mignon !” et d’un geste rageur elle avait fait tomber quelque chose comme un oeil de verre, qui avait roulé par terre avant d’éclater sur l’angle d’un pavé . Elle avait ramassé vivement cette relique mais un éclat avait du rester là, il le remarqua, voulut l’ôter afin qu’on ne se blesse pas, “Aïe ! je me suis coupé !” On aurait dit que l’éclat était pris dans le ciment millénaire de ce triste sol de prison, et l’éclat entailla profondément le doigt si bien qu’il saignait abondamment . Il chercha un linge quelconque mais n’en trouvant pas, il déchira un pan de sa chemise d’uniforme en attendant mieux, et se fit une sorte de poupée, qui n’empêcha pas le sang de suinter . 

Il y avait bien un infirmier qui aurait pu l’aider, mais il  était tard, et il ne serait pas là avant le lendemain matin . Il décida de s’endormir sur la paillasse en espérant que le sang coagule . Il vérifia son linge, en assura le noeud, et s’assoupit .

On le retrouva le lendemain matin, son bras pendait à l’extérieur du couchage, le drap avait disparu et le sang avait dessiné des signes cabalistiques sur les pavés avant de s’écouler sur les joints qu’il imbibait .

On alla chercher la sorcière dans sa cellule, le gardien qui s’en chargeait commença par observer par le judas : elle était bien là .”Allons ! Lève-toi, j’vais pas t’porter non plus, il est l’heure de sortir ! ” Il entra mais elle ne bougea pas, et quand il voulut l’éveiller, il ne secoua qu’une vulgaire poupée de son affublée des vêtements de la sorcière …Où était-elle passée ? 

Quelle dommage que son camarade soit mort, il aurait pu le rassurer, lui qui était si….rationnel .

On ne brûla pas de sorcière ce soir-là, on enterra un geôlier . La dernière pelletée charriée sur la tombe fit rouler un oeil de verre à la forme irrégulière .

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