Le bal

Des amis nous avaient vivement conseillé une incursion dans ce lieu discret pourtant situé en plein centre ville. Ils nous avaient dressé un tableau rare et empreint d’exotisme et promis une expédition qui changerait à tout jamais la notion que nous pouvions avoir sur le bonheur et la jouissance. Ils nous offraient le sésame pour une expérience peu commune bien loin de nos préoccupations du moment.
Aucune publicité voyante ou tapageuse n’indiquait cet établissement. Qui aurait eu l’idée, vers 23 heures, de pousser cette petite porte discrète sans avoir été informé de ce qui se cachait derrière ?
Nous l’avons poussé vers minuit, non sans quelque curiosité mêlée d’appréhension, et descendu l’escalier en colimaçon où couraient les accents d’une musique ringarde que fit exploser l’ouverture de la porte du bas.
Nous avons immédiatement été saisi par des relents de parfums bon marché mêlés à l’odeur âcre de la sueur et d’haleines chargées de mauvaises boissons. L’endroit était minuscule, plein à craquer. De vieilles coquettes pomponnées et rayonnantes dansaient au bras d’hidalgos d’occasion mis sur leur trente-et-un. D’autres attendaient leur tour, avachies sur le velours cramoisi de fauteuils fatigués dans la pénombre salutaire qui les consolaient de leurs imperfections. Seuls les éclats luisants des breloques au cou et bagues aux doigts laissaient deviner leur présence pour une invitation.
J’étais accompagnée et donc, à l’abri de toute gênante sollicitation. Notre venue a fait largement dégringolé la moyenne d’age.
Nous avons fait quelques pas de danse pour donner une signification à notre présence, mais densité au mètre carré, semblable aux heures de pointe dans les transports en commun, ne nous a permis qu’un piétinement sur place orchestré par l’accordéoniste qui souriait béatement, la tête penchée sur le coté.
L’exiguïté facilitait les rapprochements. Personne ne s’en plaignait. Les danseuses se laissaient apprivoiser en savourant un plaisir qu’elles redécouvraient pour quelques instants dans cette folle nuit, leur faisant oublier leur morne quotidien et leur solitude.
« Mais qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance?» Charles Baudelaire

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