Moi, je suis un texte sans histoires qui raconte l’histoire d’un livre d’Histoire. Mon auteur, le sublime amiral Guillaume du Vabre – connu par delà les mers jusque même en Bretagne -, pour une fois, tente ici de livrer sa pensée dans sa grande simplicité ; comprenez : sans ambiguïtés.

Aura-t-il su le faire ? C’est une autre histoire, c’est vous qui le direz, et nous l’allons voir…

Mais pour l’instant, voici donc la mienne, d’histoire…

Par un pluvieux matin de septembre 1976, ou peut-être 77 – pardonnez la défaillante mémoire que j’ai de ma propre histoire -, je me retrouvai sur le pupitre d’un écolier. Enfin, je n’en suis plus tout à fait certain car c’est, voyez-vous, que l’histoire de mon histoire n’a jamais été vraiment écrite par un historien. Le « pupitre » par exemple, pourrait être un bureau ; et si c’était un bureau, mon écolier était un thésard, ou si le pupitre n’était pas bureau, il était autre chose et mon propriétaire était lui quelque chose entre l’écolier et le thésard ! Allez savoir…

« L’écolier », de son côté, pourrait être une écolière, et si c’était une écolière, son toucher de mes pages, certainement eût été différent et j’en eu gardé souvenir tant j’adore qu’on me caresse dans le sens de la page…

Par contre, s’il pleuvait, c’est que nous étions en Franche-Comté. Où pleut-il dans le monde, à part en Franche-Comté ? Ça, je le sais, je suis un livre d’Histoire… La consanguinité de notre espèce à celle de nos cousins géographes est aujourd’hui prouvée, et nos compétences proxémiques à leur matière n’est plus questionnée.

Nous serons donc, si vous en convenez, en Franche-Comté, dans la fin des années 70, par un matin pluvieux et dans les mains d’un humain qui n’était pas très vieux. Le cadre est posé.

Vous le voyez ? Je vous l’avais dit : pour ce texte qui raconte mon histoire de livre d’Histoire, Son Altesse, l’amiral Guillaume du Vabre – aussi connu sous le nom du « Loup des mers, des steppes et des terres », jusques en Bretagne ! – l’amiral a fait simple : nous avons le cadre.

Qu’a-t-il mis dans le cadre ? C’est encore une autre histoire, mais comme vous l’allez voir, pas davantage alambiquée. Simplicité vous dis-je, simplicité.

Le souvenir que j’ai de cette matinée-là, c’est que déjà l’on m’avait malmené. Un paire de gros yeux ronds étonnés me regardaient et en même temps, deux mains affolées tournaient mes pages à toute vitesse, comme s’il fallait m’avaler au rythme d’un discours qui se tenait un peu plus loin. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris la nature du discours : il était pro-fess-oral ! C’est le genre de discours qu’on est forcé d’écouter d’année en année, nous autres livres d’Histoire, sans jamais pouvoir réagir aux bêtises qu’on entend parfois. En effet, leurs auteurs – ils appellent cela des « pro-fesseurs », terme qui prend sa source dans un passé lointain où la punition corporelle était encore la règle – changent chaque année, et il arrive parfois qu’ils nous aient si mal lus qu’ils leur faut improviser.

Oh, je ne leur jette pas la pierre car j’ai découvert, dès ce premier jour, qu’on changeait aussi nos contenus ! Comment voulez-vous qu’ils s’y retrouvent si l’Histoire n’est pas fixée une fois pour toutes ? Car elle ne l’est pas ! Regardez…

Sur la table d’à côté, il y avait mon aîné. On l’avait très vite surnommé : « Antéprocène le balafré », du fait, d’une part, et dans l’ordre inversé : de la multitude de cicatrices qu’il arborait au fil de ses pages, et, d’autre part : d’un chapitre qui lui manquait ; celui de… l’anthropocène !

Antépro (c’était son diminutif) n’en prenait pourtant pas ombrage car d’un autre côté il avait, lui, deux chapitres qui, à nous les jeunes, nous faisaient défaut ! L’un qui racontait encore la gloire de je ne sais quel maréchal de France, et l’autre celle d’un grand ministre si intelligent et si puissant qu’il avait largement contribué à coloniser la moitié de l’Afrique, et moult autres contrées peuplées de « races inférieures » ! Remarquez, pour ce dernier, c’est moi qui le dit car dans son chapitre à lui, Antépro, on ne parle, à propos de ce ministre, que de « l’école de la République »…
Et comment puis-je le dire si justement je n’ai pas le chapitre ? Ah, ah… Je vous intrigue, hein ? Eh bien mais c’est simple : par recoupements ! Réfléchissez : le chapitre du ministre d’Antépro ne parle que du ministre et de l’école. Autrement dit, le ministre a son chapitre à lui tout seul, et c’est celui de l’école. Inutile donc d’y parler d’autre chose, à plus forte raison des choses qui fâchent. Mais Antépro aussi a le chapitre des choses qui fâchent ! C’est juste qu’on n’y parle pas du ministre. Alors que moi, je l’ai, le ministre, dans le chapitre des choses qui fâchent ! Vous le voyez bien, encore ici : simplicité, simplicité vous dis-je…

L’Histoire, ce n’est pas si compliqué. On pourrait le croire, j’en conviens, mais en réalité, il suffit de comprendre qu’elle se réécrit chaque jour, l’Histoire, comme l’avait si bien montré le contre-amiral Orwell, bien connu de tous par delà les océans et les montagnes sous le nom de « Big Brother », et jusques en Grande Bretagne pour le coup !

Oups, mais, voilà qu’on vient de me fourrer dans un cartable. Je vais devoir vous quitter, on m’emmène à mon énième discours. Mon dieu, que vais-je encore entendre ?…

6
0
L'auteur-trice aimerait avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x