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… alors que je ne savais plus où j’en étais. C’est ça : « Elle était là, à se pavaner alors que je ne savais plus où j’en étais. » Je venais enfin de finir la première phrase de mon roman. J’avais bon espoir. J’étais au taquet ! Tout content de moi, je me suis levé pour promener mon enthousiasme dans la pièce. Yes ! Très bon, comme phrase ! Je dansais presque…

Je me suis rassis. C’était un matin inspiré ! Mon ordi devant moi, bel écran, un dimanche matin original (je venais de voir une pin-up blonde se faire écraser par une statue de la Vierge sur son balcon en allant chercher le petit déj ; eh oui, ça palpite dans ma vie !), café-croissants et c’était youpi pour écrire le roman du siècle !

Je m’étais donc rassis. Plein d’inspiration et heureux de me sentir aussi en forme. L’écrivain 100 %, celui qui assure. Celui qui fait jaillir l’improbable de sa plume, qui fait vibrer les sens. C’était MooA !

… Hm.

Trois minutes plus tard.

« Rassis. » Au sens propre. Mince. Ça m’est tombé dessus sans prévenir. Pincement au cœur. Grosse crampe. Écran blanc, plus rien dans le cerveau. Après cette première phrase fulgurante, pourtant… Elle était bien cette phrase, non ?

Néant. Je levais les yeux sur le perroquet qui mangeait avec un bruit de succion agaçant. Oiseau de mauvais augure, celui-là. Je l’avais bien entendu dire la veille « Tirer son épingle du jeu, c’est pas pour toi, pas pour toi. » Avec cette tonalité moqueuse…

Bon. J’efface. Je savais que j’avais quelque chose à écrire et, en même temps, j’étais ignorant de ce qui était à écrire. C’était là, mais ça ne prenait plus matière. Je sentais mon torse se gonfler de vie et d’air pur, comme un souffle porteur, mais rien ne sortait. Mon traducteur interne était en panne.

Alors je suis retourné caresser les fesses moelleuses de mon aimée. Elle dormait encore. Puis j’ai hésité à reprendre une douche, mais bof, à mettre de la musique, mais re-bof. … Et j’ai réalisé que je me sentais seul. J’étais seul.

Seul et complètement démuni de moi-même, comme après le passage d’un ouragan. J’étais dévasté de quelque chose ; de quoi ? Soudain vaseux, avec des fourmillements partout dans le corps et surtout sur ma langue gonflée. Ça dansait à l’intérieur de moi, comme si j’avais bu. Je tanguais gentiment.

Je suis allé me blottir contre mon aimée. Une main courant sur son dos… Hm… Elle s’est tournée vers moi, je m’attendais à un baiser endormi et rassurant. J’avais encore mal dans la poitrine.

Mais son visage était différent. Mon aimée avait le visage de la Vierge. Elle me souriait et me regardait avec compassion. Un halo bleu ciel nous enveloppait. Une auréole dorée apparut au-dessus de sa tête. Tremblotants doucement, les murs de la chambre n’avaient plus de limites. Derrière nous, des prés verdoyants entourés de chênes séculaires et, au loin, un torrent dégringolant des montagnes blanches et scintillantes. Un aigle quelque part dans le ciel, avec des ailes démesurées qui créaient des ombres mouvantes…

Whaou. Un peu flippant-dément l’histoire. En observant la scène tel un peintre, je découvrais des lys blancs s’épanouissant ça et là ; un enfant sur un sentier ; une étoile de mer posée sur une branche ; un feu naissant au creux d’un bloc de pierre ; des reinettes grignotant des croissants (encore eux !) ; des rubis incrustés dans le soleil qui m’encourageaient à les rejoindre…

Que faire encore de tout cela ? Me lever et écrire ? Était-ce l’inspiration ?

J’ai bondi hors du lit. Debout, seul dans cette pièce mouvante et ouverte, je voyais défiler devant moi des saynètes sans queue ni tête ; je vibrais de colère et de joie ; j’étais fort et j’étais faible. J’étais tout à la fois et je n’étais rien. J’étais l’humain qui se débattait pour s’en sortir et j’étais le divin paisible. J’étais dans un tourbillon et je devenais immatériel. J’étais l’écrivain qui s’approchait de son bureau et je devenais le pauvre hère qui s’écroulait.

J’étais vivant et je devenais mort.

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