Il était une fois, dans une petite ville cossue du nord d’on ne sait où, un jeune élève-Ingénieur débrouillard et touche à  tout.  Plutôt  frileux et toujours affublé  de vieux tricots maintes et maintes fois reprisés, il aidait à la tonte des moutons de la ferme, quand lui vint une idée.  

Ses études une fois terminées, c’est fraîchement diplômé qu’il s’installa à la ferme pour se retirer dans un atelier reculé dont il ne sortait que pour piocher un ou deux ovins  qu’il finissait  toujours par relâcher parfois tondus, parfois tressés, une fois même colorés avec des dreadlocks pailletées. 

Inutile de vous dire, combien les villages alentours conversaient  du sujet… 

Quelques tours opérateurs commençaient même à insérer la visite des prés  pour tenter d’admirer un ou plusieurs laineux tricotés sur pied.

Car c’est bien de cela qu’il s’agissait. 

A la ferme de Wylisa, on allait inaugurer :la machine à tricoter la laine directement sur le dos des moutons. 

Ce procédé extraordinaire permettait de conserver la fibre le plus longtemps possible dans son état naturel, de manière à ce que la pièce de laine sorte solide, belle et surtout avec des finitions parfaites. 

Chaque mouton inséré en début de parcours, ressortait d’un couloir  en portant un pull tricoté à col roulé, coloré, prêt à être vendu en l’état.

Choisir sa taille revenait simplement à choisir un mouton. Le rayon agneau  revêtait des barboteuses toutes plus mignonnes les unes que les autres. 

Ce jour là, les grandes marques de négociants en lainage se massaient autour du podium où la machine avait été installée . Les vieilles femmes du village ne pouvaient s’empêcher d’écraser une larme en voyant leur savoir-faire ainsi piétiné. A quoi donc allaient-elles servir à présent que leurs aiguilles allaient être remplacées par des machines?

Pour le final de sa démonstration , notre ingénieur a réservé un mannequin de choix. Il allait mettre en valeur  la pièce tendance de la saison. 

Celgemlas, un bélier aux magnifiques cornes enroulées était reconnu pour sa laine dense et pour son port de tête valorisant. 

Celgemlas monte alors sur l’estrade. Il est nerveux. Depuis quelques temps, il en a assez de se faire tricoter la laine sur le dos. D’autant plus qu’il est inquiet . Nous sommes le 1er décembre, et il se dit  qu’une vilaine mode consiste à faire des pulls moches avec d’affreux ornements pour Noël.

Celgemlas a sa fierté, il ne se laissera pas ridiculiser. Pas devant les plus  grandes usines de filatures du pays!

Sous les yeux de tous, il monte donc dans la première machine. Il s’agit de l’étape la plus plaisante:  la coloration. Celgemlas se baigne dans des bacs au senteurs de betteraves , une odeur suave et terreuse qu’il connaît bien  et qu’il apprécie. Il se laisse donc pomponner sous les regards curieux, tout en restant méfiant de la tournure que pourrait prendre les choses.

Puis vient le deuxième robot: 

Allongé sur le ventre notre ovin se laisse « papouiller ». Des petits crochets aux bouts arrondis démêlent sa toison, étirent sa laine, la chauffe pour la sécher et entament une danse pour la tricoter.. L’animal apprécie , s’étire, et  déguste sous l’oeil avisé des professionnels quelques feuilles de laitues et autres graminées. L’animal sort ainsi vêtu de son propre pelage coloré, sous les yeux ébahis de la foule. 

Vint la troisième machine. Celle -ci était nouvelle. Elle se met à  agrémenter  notre « pull sur pattes » de deux gros yeux en feutrine , d’un nez rouge en pompon puis d’une affreuses paires de bois de rennes en faux cuir marron!

Celgemlas s’agite.

Il fulmine. 

Sous les yeux de la foule et les flashs crépitants, alors que le jeune inventeur s’apprête à l’attraper par les cornes pour embrasser son pompon rouge et s’incliner heureux et satisfait  devant la foule…

Le fier bélier soulève le jeune homme et d’un coup de tête l’envoie dans le bac de coloration. 

Non mais sérieusement ! Il ne servira pas de matière première à un pull moche de Noël!

Affublé de ses atours hideux et peu qualitatifs, le mannequin laineux traverse alors la foule silencieuse et abasourdies. 

Les vieilles tricoteuses jurent à qui veut bien l’entendre qu’en sortant  le bélier a déclamé

– C’en est trop! Les ovins ne se laisseront pas  manger la laine sur le dos, plus qu’il ne faut!

Depuis ce jour, notre ingénieur arbore des cheveux roux et des pulls de qualité uniquement colorés et à col roulé. Les tricoteuses, elles, se sont spécialisées dans l’ajout de pampilles à customiser les pulls fraîchement sortis de la nouvelle usine à tricoter sur pied.

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