Il y a des dizaines et des dizaines d’années vivait un crieur public dans la petite ville de Gasychu. Sa modeste maison était entourée d’habitations cossues où vivaient les gentilshommes. Le crieur était un petit homme fourbe, opportuniste et cupide, il rêvait de s’enrichir et de grimper quelques degrés sur l’échelle sociale.

     À l’époque de l’épidémie de Zochone et du Grand Confinement, il avait vu son activité croître de façon exponentielle. Les gentilshommes qui ne pouvaient plus quitter leur domicile le sollicitaient pour aller déclamer leurs messages sous les balcons des bien-aimées, aux fenêtres des maisons de retraite, sous les porches des hôpitaux et dans les casernes des pompiers. Le métier de crieur public avait été décrété “métier essentiel” et il bénéficiait d’un sauf-conduit qui lui permettait de se déplacer au gré des demandes. Il était encensé et adulé par tous. Les gentilshommes le couvraient de cadeaux en plus des sommes rondelettes et des pourboires qu’il touchait pour ses prestations. Les années du Grand Confinement se terminèrent dans la liesse des libertés retrouvées. Le pécule amassé par le crieur public lui permit de vivre aisément pendant un certain temps.
     Lorsqu’il se retrouva sur la paille après avoir dilapidé son bas de laine, il sombra dans le désespoir. En sillonnant les marchés de la région, il essaya de se refaire, mais les gentilshommes qu’ils croisaient avaient retrouvé le plaisir de s’occuper eux-mêmes de leurs messages d’amour ou d’amitié. Le crieur rêvait d’une nouvelle épidémie qui clouerait les gentilshommes chez eux et le mettrait à nouveau sur le devant de la scène.
     Un jour où la faim le tenaillait, il sortit sa vieille canne à pêche et marcha jusqu’à la rivière qui séparait le village de Gasychu en deux. L’attente ne fut pas très longue et il sentit le bout de son fil frétiller dans le courant ; la prise semblait importante. Ses efforts pour ramener le poisson sur la rive furent couronnés de succès. La perche était longue et magnifique, ses écailles argentées livraient leurs scintillements dans la lumière matinale. Subjugué, le crieur ne fut pas surpris lorsque la perche prit la parole:
« S’il te plaît crieur, remets-moi dans la rivière, ma chair est immangeable mais je possède un don et je peux réaliser ton rêve le plus cher ».
     Indécis, le crieur examina longuement la perche et ses éclats moirés. Le poisson commençait à respirer difficilement et il lui fallait se prononcer. Suivant son intuition, le crieur rejeta à l’eau la perche qui lui dit :
« Tu ne regretteras pas ton geste, ton vœu est déjà réalisé ».
     Impatient, le crieur rentra chez lui et oubliant sa faim, il scruta chaque endroit de la maison espérant y trouver une bourse de pièces d’or, un sac de pierres précieuses, des bijoux en argent… En passant devant la vitre de sa fenêtre il vit avec effroi son visage couvert d’écailles mordorés, des bubons se formaient déjà sur les boursouflures de son cou.
     Son rêve s’était accompli l’épidémie de Zochone était de retour!

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