Sur la place du village en ce jour de fête de la Saint jean, on attendait que l’animateur parlât le premier pour démarrer le spectacle et les festivités.

Les enfants surexcités par l’attente étaient assis aux premiers rangs devant l’estrade, travestis en légumes et en fruits multicolores. Les écoliers avaient tous participé avec enthousiasme à la fabrication de leur déguisement champêtre pour célébrer le solstice de l’été et clôturer l’année scolaire. Pour cette occasion, ils avaient rivalisé de créativité et d’ingéniosité, en s’inspirant d’un portrait grotesque entièrement composé de fruits et de végétaux réalisé par un peintre italien du 16ème siècle Giuseppe Arcimboldo.

Même les notables du village, « les grosses légumes », comme on les appelait dans les chaumières, étaient arrivés masqués pour la circonstance, affublés de costumes arborant fièrement les couleurs, les formes de notre production locale : pommes, noix, chou-fleur, melons… le spectacle était déjà dans l’assistance, chamarrée et loufoque.

Monsieur le Maire lui, se faisait attendre et chacun y allait de sa prédiction sur le choix de son déguisement.

La buvette était déjà prise d’assaut distribuant généreusement du fromton et de la bière. Une farandole joyeuse de villageois déjà quelque peu éméchés envahit alors l’estrade. De surprise, l’animateur radio recula, glissa, tomba…

A la renverse dans la poussière, le hurlement qu’il fit en trépassant fut son unique discours. C’est alors qu’une vieille femme penchée, s’avança vers nous en s’appuyant lourdement sur sa canne. Dans le silence sépulcral instantané qui suivit l’accident, elle émit une sorte de rugissement terrible qui fit fuir tous les badauds jouissant de ce spectacle mortel. Comme une volée de moineaux s’éparpille dans la prairie, la farandole se désintégra en poudre d’escampette.

D’un bond, le mort se releva dans un éclat de rire tonitruant, ôta son pardessus maculé de terre découvrant un costume rutilant. Il rebondit vivement sur l’estrade et arracha son masque : Monsieur le Maire en personne !

Il tendit la main à la femme penchée, qui se hissa près de lui avec une agilité d’acrobate. La femme se redressa, altière, juvénile laissant glisser langoureusement son châle noir à ses pieds. Ses longs cheveux ébène tombaient en cascade dans le creux de ses reins. Elle portait une robe longue rouge ajustée et fendue à volants, découvrant de fines chevilles chaussées d’escarpins de velours noir. Tandis que la musique envahit de nouveau la place du village quelque peu désertée, le couple commença à danser un tango langoureux et passionné.

Ils étaient seuls au monde dansant comme deux amants, se roulant des galoches et nous sales gosses nous avons tout vu, réfugiés sous l’estrade.

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