Le bottin ! Il était rangé sur la seconde planche d’une étagère posée au sol.

Le téléphone trônait sur la tablette supérieure de la même étagère.

Nous sommes chez Louis dit Louisou, détenteur du seul appareil téléphonique du village mais aussi buraliste, taxi, éleveur de brebis, un peu débit de boissons et à ses heures bouilleur de cru. 

Lorsque ses activités lui donnaient quelque répit (il avait tout de même plus de la soixantaine) il se tenait à la table de sa petite salle à manger située au premier étage juste au-dessus de la bergerie. On y entrait directement par un escalier de pierre extérieur.

Sa minuscule ferme jouxtait l’église sur l’unique place du village.

C’est là, dans la pièce principale qu’était installé le téléphone sur son étagère, dans un angle un peu caché.

Devant l’étagère, un fauteuil permettait de converser confortablement si l’on téléphonait.

Sud Aveyron, il y avait trente habitants dans le village. La première ville avec un commerce se trouvait à douze km.

Années 80 (le siècle dernier, c’est vrai), au village personne n’avait le téléphone à la maison. Louisou était le sauveur de qui aurait eu un besoin urgent de joindre quelqu’un.

On pouvait monter chez lui à toute heure, attraper le bottin, trouver le n° espéré, le composer.

Vous avez appelé dans le département ? demandait Louisou une fois le combiné raccroché. 

Il avait préalablement enclenché son minuteur dès le début de la conversation.

Non, non, j’ai appelé Paris ! 

Mais c’est loin ça, répondait-il et il calculait la somme due.

Ce n’est pas si ancien, pourtant on a presque perdu l’idée que de telles scènes aient pu exister il y a moins d’un demi siècle.

Je revois à la poste, la rangée de gros et lourds bottins régionaux aux odeurs de vielle encre moisie. Nous allions les consulter pour trouver un numéro de téléphone ou bien une adresse.

Plus tard, l’annuaire téléphonique par département fut distribué chaque année gratuitement dans nos boites à lettres. 

Pages blanches, pages jaunes. Il y avait parfois des pages entières d’abonnés du même nom. 

Puis est arrivé le moment où internet et le règne du portable ont rendu l’utilisation de l’annuaire complètement caduque, on ne le consultait plus du tout, il restait à traîner dans les entrées d’immeubles.

Sa distribution ne disparut que fin 2019 lorsque l’on commença à s’inquiéter de nos débordements d’utilisation du papier.

Lorsque je dis « bottin » je pense à Louisou bien sûr mais je pense aussi à Patrick Modiano qui, en consultant le bottin de Paris, a réussi à retracer les itinéraires des personnes marquantes pour lui et rencontrées dans son enfance. 

Il en a fait le fil rouge de son oeuvre. 

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