Le malheur des uns… @melanie

Le malheur des uns…

La grève des éboueurs entame sa troisième semaine. Elle est annoncée illimitée. La ville n’est qu’une poubelle, une décharge à ciel ouvert qui dégage une odeur pestilentielle. Elle est abandonnée aux charognards, aux moustiques, à la vermine et aux rats d’égouts.
Ça grouille de rats énormes qui établissent partout des QG pour organiser le ramassage des denrées. Les anciens envoient des goûteurs pour s’assurer de ne pas empoisonner leur communauté. Ils effraient les habitants qui désertent certaines rues. Ils sont les maîtres et ils le savent.

Tandis que la ville étouffe sous les équevilles*, d’autres ne s’en plaignent pas :

Mes potes me disaient gentiment ‘’attention Raton, tu es sur la mauvaise pente ! Tu dépasses déjà la moyenne question corpulence !’’ Je ne les ai pas écoutés. J’ai continué. C’est trop tentant toutes ces petites gâteries à profusion. Je n’ai jamais su me retenir, il faut que je grignote du matin au soir. Si je ne grignote pas, je gratte sans arrêt. C’est plus fort que moi.

Et maintenant, voilà où j’en suis : environ une tonne, tout sec. Et ils se moquent de moi ‘’ on t’avait averti Grôthon’’ (Je n’ai pas compris la vanne tout de suite…) ’’nous, on fait ça en gourmet, dans les poubelles des grands restaurants, fruits de mer pour la ligne, petite sieste sur la jetée, loin des odeurs et retour au bercail, à la fraîche, dans l’égout central.

Moi, il y a déjà longtemps que je ne passe plus par la bouche. Alors je me fais un abri avec des sacs en plastique pour me cacher. J’ai un peu honte.
Il paraît que je suis en obésité morbide, dixit un rat de bibliothèque. Je lui ai lancé un :’’morbide toi-même’’, j’ai couiné fort, et il a détalé. Je crois bien que je leur fait à tous un peu peur.

Je n’ai pas aimé quand mes potes m’ont traité de Grôthon, mais ils ont raison ! Demain, j’entame un régime. J’ai la nostalgie de mon égout et de ses eaux délicieusement saumâtres.

* nom féminin lyonnais désignant les déchets, les détritus, les immondices