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Version 1

Quand j’ai tiré l’échelle, j’ai senti que quelque chose d’inhabituel était en train de se produire. Je ne supportais plus qu’il me crie de baisser d’un ton. Et lui alors, n’en avait-il pas assez de me hurler dessus ? C’était quoi son problème ? Pourquoi devais-je écouter ce ténor du barreau s’évertuer à me dénigrer à longueur de journée ? Ça oui, le gars était doué pour descendre sa proie, mieux valait ne pas traîner dans ses pattes. Ses pattes grises et sans soin, ses pattes blessantes et humiliantes. Dans une cour de justice, son aura et son charisme terrorisaient jusqu’à ses confrères, leur faisant perdre tous leurs moyens. Les victimes, n’en parlons pas : à peine avait-il glissé un pied dans la salle d’audience que l’atmosphère manquait d’air et asphyxiait le moindre élan d’opposition. Il transformait ses cibles en momies, engluées dans leur rôle respectif. Plus aucune lumière ne s’infiltrait à travers son ombre. Évidemment, il était vénéré des tyrans, ceux-ci décelant en lui l’ultime voie pour s’affranchir d’un crime impardonnable. Son dernier client avait tué un boulanger.

Pour nourrir son propre mythe, il avait choisi de dissimuler toute trace d’humanité. Quoi de plus terrifiant qu’un monstre sans âme ?

Pris à sa propre histoire, il avait oublié qu’il était mortel.

Devant moi, le corps de mon père gisait.

Version 2

« Un deux trois soleiiil ! » criais-je à tue-tête. J’imaginais une momie derrière moi, et je gagnais à tous les coups. 

« Baisse d’un ton ma poulette, tu vas réveiller tout le voisinage ! » riait-il, complice.

Mon père, ce héros. J’aimais tant vivre auprès de lui que je me levais aux aurores, insensible à la fatigue accumulée par tant de courtes nuits. Alors qu’il partait rejoindre son four à pain, je sautillais derrière lui, courais attraper sa main, chantais avec lui les mots du matin. Je l’observais mener la danse, malaxer la pâte, préparer les pains, confectionner les croissants. À la moindre occasion je chapardais mon petit déjeuner : des chocolatines gonflées d’amour. Il travaillait en chantant, ce boulanger de quartier. Sa voix aigüe de ténor était aussi surprenante qu’attachante. Ce grand bonhomme à la voix de fée séduisait ses clients doublement : papilles émerveillées et battements de cœur envouté. Tout en lui enchantait. Souvent je restais des heures à l’étage, le menton posé sur mes mains, telle une petite souris admirant un conte de fées. Quand venait l’heure de l’école, il tirait l’échelle et m’accueillait bras ouverts. Nous valsions un moment, étirant le temps. Ces souvenirs lumineux ont infiltré en moi des graines de bonheur infini. Quand l’Amour est solidement semé, il ne cesse de se déployer. C’est un cadeau inouï. Pour la vie.

 

 

[contraintes : Tirer l’échelle/baisser d’un ton/la momie/le boulanger/le ténor]

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