C’est à partir de ce jour-là que j’ai pris conscience de ma puissance « magique ». De l’effet étonnant que mes particularités ésotériques peuvent provoquer. Avant, j’avais servi pour la guerre mais juste en tant que métal dur. Aucune autre spécificité. Plutôt plat et banal. Ce pouvoir un tant soit peu divin que je me suis découvert récemment, je j’apprécie plutôt, parce que je suis du genre tranquille, malgré ma fonction initiale. Peut-être un peu pleutre, même…

Je n’aime pas trop les problèmes, c’est sans doute pour ça que j’ai choisi de m’incarner dans une matière très très solide, voire invincible. Histoire d’être sûr que l’on ne me cherche pas trop les noises. Et, en même temps, et c’est bien là le paradoxe, j’ai choisi d’être un objet efficace de protection pour qui veut chercher les noises à l’autre, et gagner. J’avais peut-être besoin de tester ma volonté d’être vraiment utile à l’humanité. Les objets aussi se réincarnent…

Bref, ce jeudi-là, jour de Thor – on a du style ou on n’en a pas -, je dormais paisiblement depuis quelques mois sur un champ de bataille. « Abandonné », diraient les soldats. … Je ne ressentais cependant ni solitude ni quelque autre sentiment que ce soit. J’étais juste alangui, sensuel (oui), posé en biais, contre un rocher, ma base se faisant chatouiller par des brins d’herbe qui poussaient autour de moi malgré l’hiver qui arrivait. Ma rondeur caressée par le vent. Tout était bien.

Puis ce fut très soudain. Un éclair sous la pluie grise ! Un souffle d’ogre sur moi. Un courant froid. Je me suis senti soulevé dans les airs, très haut, par une main de fer venant des cieux. C’était un dieu qui me saisissait. Impossible autrement. Et brusquement. Il y avait urgence. Il n’avait aucune crainte, juste une ferme détermination à résoudre une situation humaine désagréable. Tout de suite. Sans attendre. Le temps des dieux n’existe pas. Il est maintenant. Point.

Le voyage dans les airs a duré quelques instants à peine. Je me suis retrouvé, bouclier gravé de runes, posé sur un socle invisible, devant une humaine en pleurs. Elle était plutôt mal en point, pas très jolie, triste à mourir. J’étais à trente centimètres d’elle, protégeant son ventre et sa gorge. Le vent de mon dieu impérieux m’ordonna d’agir. Ok. J’ai commencé par générer de la chaleur.

Puis je me suis mis à rayonner pour elle. Elle ne me voyait pas, mais elle a vite compris que j’étais là ; elle me ressentait, distinguait ma présence. Je vibrais devant son corps pour la protéger d’une forme visqueuse qui cherchait à la saisir pour la broyer. Une forme venue de nulle part et d’ailleurs, sans doute une âme égarée rendue agressive par l’ennui et le manque d’amour (on trouve ça souvent dans les anciens textes nordiques). Une chose vivante qui cherchait à en découdre, qui était là depuis je ne sais quand et peu importe. Cela n’allait plus durer longtemps…

… parce que j’étais à fond dans mon rôle de bouclier-sauveur. Ma circonférence prenait de l’ampleur. L’airain dont je suis constitué scintillait (rien que ça). Je vibrais au maximum. Personne n’anéantirait cette femme !

Les runes gravées sur mon visage lui transmettaient des messages venus des temps anciens : tout ce qu’elle avait besoin de ré-entendre pour revenir à sa propre source et redevenir maîtresse d’elle-même. Je vibrais… J’ai expiré ma force et elle a inspiré ma puissance. Les gros sanglots se sont espacés. La passation d’énergie se faisait en confiance. Un spectateur aurait pu voir des rayons colorés passer de ma forme métallique à sa gorge de chair. C’était comme si nous étions liés, compris pour compris. Des héros, en somme !

Elle a repris sa respiration. Plus de larmes. Elle a levé la tête, bombé le torse et a sorti un son, un son vital, grave et à la fois tout en rondeurs et en couleurs. Un son difficilement descriptible, puissant, hargneux, volontaire et joyeux. Peut-être comme le cri des Walkyries… en direction de l’ectoplasme aigri qui n’en menait pas large.

Il n’en n’avait plus pour longtemps. En même temps que les ondes du « cri » de ma Walkyrie faisaient vibrer l’atmosphère autour de nous, l’ectoplasme déçu d’avoir raté sa chasse s’est volatilisé comme par magie. Nous avions réussi. À la place, de minuscules particules gris clair flottaient dans les airs. Happy end sur la planète Terre.

Que d’activité ! Que d’héroïsme, c’est beaucoup pour moi. J’aimerais me reposer maintenant. Ah, une main arrive. Mon dieu qui vient me récupérer.

Où suis-je ? Mais dans un fort joli salon, dites-moi, loin de toute science-fiction. Je décore, confortablement installé sur un coussin de soie ocre rouge. Repos du guerrier largement mérité. C’est bon, ça.

Je vais me remettre à rêver d’une planète sur laquelle les boucliers serviront d’œuvre d’art ou de table, mais pas d’arme de guerre.

Ah, et la femme dans tout ça ? Eh ben, j’ai pas fait gaffe…

 

 

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